Une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux raconte comment, en bon citoyen, un Tunisien a pris l’initiative d’alerter la SONEDE d’une fuite d’eau émanant de son réseau aux environs de son logement. Son espoir était de voir les services de l’entreprise réagir très vite et venir pour réparer la canalisation endommagée. Malheureusement, après plusieurs jours, il a déchanté en constatant que son alerte n’avait trouvé aucun écho auprès de la SONEDE, que l’eau continuait à être gaspillée et qu’il était, peut-être, l’unique Tunisien à s’en préoccuper.
Cette histoire est en fait, pour la majorité des Tunisiens, une belle illustration d’un truisme. C’est que le stress hydrique dont souffre structurellement la Tunisie n’est pas dû seulement à la faible pluviométrie et à la réduction des stocks d’eau retenus par les 40 barrages du pays en période de sécheresse, mais également à la mauvaise gouvernance de l’eau par la SONEDE qui en détient le monopole d’exploitation et de distribution.
Il faut rappeler que, selon des statistiques officielles, les quantités d’eau potable gaspillées et perdues par l’effet des fuites d’eau générées par la vétusté des canalisations du réseau de la SONEDE dans le seul Grand Tunis équivalent la capacité de rétention d’un barrage de 50 millions mètres cubes.
Une nouvelle tradition : l’annonce de la saison de la soif
C’est pourquoi, à défaut de mobilisation de nouveaux investissements hydriques mais aussi cette tendance de la SONEDE à ne pas réparer son réseau vétuste, les ministres de l’Agriculture en charge de la gestion de l’eau ont pris l’habitude d’annoncer chaque année des “saisons de soif“ lors de la période estivale.
L’actuel ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche maritime par intérim, Mohamed Fadhel Kraiem, n’a pas échappé à la règle. Le 15 juin 2021, devant le Parlement (ARP), défendant un projet de garantie que l’Etat devait accorder à un prêt contracté par la SONEDE auprès du Fonds koweïtien pour le développement économique arabe (FADES) en vue de financer un projet aux contours vagues, l’amélioration des réseaux d’eau potable dans les zones urbaines, il a “informé“ les députés que la Tunisie va connaître « un été extrêmement difficile en matière de ressources en eau ».
Et le ministre d’ajouter que pratiquement tout le pays sera confronté à de grandes difficultés d’accès à l’eau pendant cet été, citant en particulier les gouvernorats du Sahel, notamment Monastir et Sousse.
Mais en tant que “ministre par intérim“, il n’aurait pas osé trop “charger“ la SONEDE et évoquer sa responsabilité dans la mauvaise gouvernance de l’eau. Qu’à cela ne tienne ! Des experts s’en sont chargés.
Depuis des années, Raoudha Gafrej, universitaire et experte en ressources hydriques a constamment révélé lors de séminaires que « le problème réside dans la mauvaise gouvernance du secteur de l’eau en Tunisie et dans le gaspillage de l’eau ». Ce gaspillage est généré, d’après elle, par la vétusté du réseau de la SONEDE (quelque 40 000 conduites seraient hors d’usage) et l’utilisation excessive de l’eau dans l’irrigation agricole. Ces pertes viennent s’ajouter aux pertes générées par l’évaporation (quelque 16,7 milliards de m3 sur un total de 36 milliards mobilisables).
Pour elle, la responsabilité de ce gaspillage doit être assumée par les deux structures en charge du secteur de l’eau, à savoir la SONEDE et le ministère de l’Agriculture.
L’eau en Tunisie a un problème de gouvernance
Le véritable défi de l’eau en Tunisie ne réside pas dans le discours sur le stress hydrique même s’il se profile à l’horizon par l’effet naturel de l’accroissement des besoins et du réchauffement climatique. Il réside plutôt dans la gouvernance et la gestion de la demande de l’eau.
C’est pourquoi, le bon sens commande d’agir sur un levier majeur, celui de limiter les pertes et le gaspillage à travers l’intensification des investissements de la maintenance du réseau de la SONEDE. Espérons que le prêt contracté auprès du FADES servira à cette fin.
L’idéal serait toutefois de mettre en concurrence la SONEDE avec une autre structure et de faire des arbitrages requis pour utiliser au mieux l’eau entre les différents secteurs (allocative efficiency).
A ce sujet, il est urgent de mettre fin, s’il le faut, au monopole de l’agriculture irriguée qui accapare à elle seule 80% de l’eau collectée sans résultat notoire en matière d’approvisionnement du marché et de la sécurité alimentaire.
Abou Sarra