A la lumière de l’adaptation des œuvres littéraires quasi absente dans le cinéma tunisien, les professionnels du film et les écrivains lèvent le voile sur les obstacles qui empêchent cette orientation largement adoptée par les industries cinématographiques.
A l’occasion de la 3ème édition de la Foire nationale du livre tunisien, une Rencontre autour de l’adaptation cinématographique de la nouvelle tunisienne a été organisée, ce jeudi 24 juin, à la Cinémathèque tunisienne, en vue de jeter la lumière sur l’état des lieux et les expériences d’adaptations au cinéma tunisien.
En partenariat avec le Centre national du cinéma et de l’Image (CNCI), les Journées cinématographiques (JCC) 2021, entament un projet pour la réalisation de courts métrages adaptés de Nouvelles tunisiennes.
Ridha Béhi, réalisateur et directeur général des JCC estime que “malgré le nombre important des films, uniquement quelques réalisateurs ont opté pour l’adaptation d’œuvres littéraires”, tout en se référant à l’exemple du cinéma égyptien en matière d’adaptations d’œuvres littéraires.
Il constate aussi un cinéma national dominé par les orientations de “la nouvelle vague du cinéma d’auteur où le réalisateur est lui-même le scénariste”.
Le directeur de la Cinémathèque tunisienne, Tarek Ben Chaabane, l’écrivain Lassaad ben Hsin, ont, chacun, donné sa propre lecture de ce manque d’adaptations et ses principales contraintes. Quoique les avis et les expériences ne soient pas identiques, le duo évoque un cadre général qui ne favorise pas les adaptations.
Revenant à ses débuts d’écrivain, Lassaad ben Hsin, rappelle la publication de son premier recueil de Nouvelles au début des années 90. L’auteur indique sa déception des premières adaptations de ses Nouvelles, dont un film pour le mauritanien Abderrahmane Sissako (Sabrya”) qui était parmi 6 courts-métrages du projet Africa Dreaming, en Afrique du Sud.
Certains projets d’adaptation de ses nouvelles ont abouti, d’autres n’ont pu voir le jour. L’écrivain évoque aussi que la censure est parmi les causes derrière certains projets avortés suite à un avis défavorable du comité de sélection au ministère des Affaires Culturelles.
Ben Hsin reproche le fait que la version adaptée pour le cinéma n’était pas identique à l’histoire et le cadre général de la Nouvelle. Dans ce sens, il estime important l’existence d’ ” une entente entre écrivain et le réalisateur “.
Cette non-conformité entre l’œuvre littéraire et le film est souvent la règle dans les adaptations d’aujourd’hui. D’un point de vue artistique, le scénario n’est pas nécessairement une reprise du texte et du cadre général dans lequel se déroule le roman ou la nouvelle.
Dans l’industrie du cinéma, la pratique artistique impose la réécriture du scénario sur la base de choix esthétiques et narratifs qui traduisent la vision du réalisateur, les besoins du film aussi bien celle de la production parfois.
Selon une approche en lien avec la sociologie de l’art, Tarek Ben Chaabane admet que la notion de fidélité dans les œuvres filmiques issus de la littérature, ” n’existe pas ” car “le cinéma est l’art de mise en image”.
L’oeuvre proposée à l’adaptation, devient ainsi une création dont la mise en scène est sous la responsabilité du réalisateur qui cherche à trouver l’esthétique artistique adéquate pour le trio œuvre littéraire, scénario et film.
Partant de son expérience d’universitaire et consultant en scénarisation, il mentionne surtout la crise de scénario en Tunisie, qui n’est que la partie immergée de l’iceberg. Le secteur du cinéma dans le pays, de son avis, est aussi affecté par la crise au niveau de production et de la distribution ainsi que le nombre limité de salles.
Autre élément important, il relève que l’adaptation, tout comme la forme scénaristique, sont liées à l’existence d’une industrie. Le scénario comme forme, a été inventé au sein de l’industrie du film pour que cette dernière puisse contrôler les dépenses.
Historiquement, l’industrie du cinéma faisait appel à des gens pour l’adaptation des grandes œuvres littéraires à l’écran. Ben Chaabane souligne ainsi que “l’industrie a fait accéder la littérature au cinéma”. Il cite l’exemple de certains pays occidentaux où l’aspect pédagogique fait que les plans futurs misent sur la préservation des générations en faisant accéder la littérature à la jeunesse et aux enfants par le biais des adaptations.
Deux fondamentaux que l’orateur estiment extrêmement absentes de la réalité tunisienne que se soit au niveau du cinéma comme industrie favorable aux adaptations des œuvres littéraires ou le cinéma comme outil didactique même pas sur le court terme.
Parler d’un cadre propice pour les adaptations dans le cinéma tunisien s’avère un projet qui se fera sur des étapes car comme l’affirme Ben Chaabane, “en Tunisie le scénariste n’est pas reconnu comme métier dans la profession cinématographique “.
Sur ce point, il admet que les adaptations ouvrent de nouvelles perspectives, sans écarter l’importance de mettre une place un plan qui fixe les objectifs futurs.