Nja Mahdaoui, artiste-plasticien et chorégraphe des lettres est l’incarnation d’une calligraphie abstraite dans ses œuvres où il manie le verbe sur toile comme dans la vraie vie.
A l’occasion de la 3ème Foire nationale du livre tunisien, l’œuvre de ce plasticien est visible à la Cité de la culture, du 17 au 27 juin 2021. Des toiles en différents formats et sur divers supports sont exposées à la galerie MACAM, du Musée national d’art moderne et contemporain.
Dans une interview accordée à l’agence TAP, à la galerie MACAM, le plasticien fascine par sa volonté de changer, son franc-parler et son œil vif. Du haut de ses 84 ans, il demeure plein d’énergie pour encore créer et plein d’espoir pour provoquer un changement dans un monde où la culture vit ses moments les plus sombres.
L’espoir en des jours meilleurs pour la culture !
Parfaitement conscient des enjeux qui guettent notre époque et des effets de la mondialisation et en dépit de cette conjoncture de pandémie, Nja Mahdaoui continue à travailler sur ses projets artistiques.
La pandémie a frappé le monde des arts de plein fouet. Mais Mahdaoui reste convaincu que chaque individu et chaque artiste à ses propres conditions. Il demeure, ainsi, résiliant tout en essayant de travailler selon les moyens et les conditions qui lui sont offertes.
“C’est une conjoncture sanitaire assez sérieuse, mais il faut uniquement se conformer au protocole sanitaire et continuer à créer. Jai continué à travailler comme si elle (la Covid-19) n’existait pas”, a-t-il admis.
En plus de ses toiles sur divers supports, cet artiste infatigable, dont les œuvres exposées forment un tout, comme si l’on feuilletait les pages d’un livre, est le créateur de ” pas moins de 150 couvertures de livres dont la plupart sont offerts pour aider les écrivains “.
A la Galerie MACAM, le plasticien et grand passionné de livres et de lecture, regrette de ne pas pouvoir tout monter. “Je voulais surtout exposer les livres dont j’ai créé le design de la couverture “, confie-t-il. L’espace limité n’a permis que l’exposition d’une collection de 10 livres et 15 dictionnaires.
Pour réaliser la couverture d’un livre, l’artiste le lit d’abord est s’assure que le contenu “ne porte pas préjudice aux autres”. Le design de la couverture d’un livre, la sélection de la couleur et tout le processus qui va avec, est assez coûteux, mais l’unique souci pour lui est de voir le livre publié.
Nja Mahdaoui, dont les œuvres sont exposées dans les plus grands musées et galeries d’art dans le monde, à New York, Londres, Paris ou Dubaï, l’artiste est reconnu auprès du gotha du milieu artistique mondial. A la question: En quoi cela change-t-il quelque chose pour to, le fait d’exposer dans ta propre patrie? Il répond: “le respect”.
L’artiste se réjouit de la réouverture prochaine du Musée d’art moderne et contemporain, inauguré en mars 2018, en même temps avec l’inauguration de la cité de la Culture. Il rappelle la grande collection d’œuvres et objets d’art du patrimoine national dont le nombre avoisine les 12 milles.
A ce sujet, il relève la question des œuvres vendues à l’Etat dans le cadre de la commission d’achat et qui profite à une poignée d’artistes.
Le plasticien s’attarde sur sa vocation de juré siégeant au comité de jury international à l’UNESCO, qui fait la sélection d’œuvres du monde entier, sur la base de critères et de lois assez strictes. Il rappelle que la Tunisie est signataire de plusieurs lois internationales, en matière d’expositions d’art, et fait constater que la durée des expositions n’obéit pas aux standards internationaux en la matière.
L’artiste a formulé l’espoir de voir les esprits libérés par le biais d’une prise de conscience culturelle générale et une animation culturelle dans les régions pour un dialogue avec les gens assoiffés de culture.
Vision d’une culture décentralisée
L’artiste revient sur l’époque de Chedli Kelibi dont le nom s’associe aujourd’hui à la Cité de la culture, ce temple pour les arts et la culture au cœur de la Capitale.
Il demeure nostalgique à cette époque où la culture avait toute sa place dans les plans stratégiques de l’Etat, sous l’impulsion de cet ancien et premier ministre de la Culture, qui avait encouragé l’action culturelle et artistique.
L’action culturelle à l’aube de l’indépendance, avait permis de créer une grande dynamique artistique dans le pays à travers une orientation axée sur les maisons de jeunes et les maisons de culture. Nja Mahdaoui faisait ses débuts aux côtés de Chedly Klibi, l’homme et le politicien qui misait sur ” l’animation culturelle dans les régions et la décentralisation culturelle “.
Il rappelle avoir fait le tour des régions dans des coins perdus de la République en vue de vulgariser et créer le changement auprès des populations de ces zones. Il marque une pause et dit : “mais je ne pouvais continuer tout seul. Il faut qu’il y ai une prise de conscience générale”.
Cette prise de conscience dont il ne cesse de rappeler l’urgence, est aujourd’hui confrontée à un nombre d’obstacles. Pour Nja Mahdaoui, les artistes ” n’ont pas accordé l’intérêt nécessaire à ces espaces ayant, peu à peu, perdu leur vocation de lieux de diffusion des arts “.
L’artiste se dit extrêmement convaincu, pourtant, que ” l’animation culturelle constitue le maillon essentiel pour faire passer le flambeau entre les générations d’artistes “.
Les artistes sont appelés à ” communiquer avec les jeunes pour les encadrer …
Malheureusement ceci n’est pas en train de se produire”, une lacune expliquée, d’après lui par le manque d’intérêt de la part des artistes.
Il pointe du doigt tout un système en matière de décentralisation et regrette que de nos jours “chacun ne pense qu’à son propre intérêt et la part des ventes de ses œuvres. ”
Son constat est que ” les maisons de la culture sont dans le chao total. Certaines sont désertes ” et déplore un gâchis avec la grande concentration des artistes dans la Capitale.
Nja Mahdaoui l’artiste qui a vu naître le premier noyau d’une action culturelle nationale entamée il y’ a près de 6 décennies, prône le mot ” dialogue ” en vue de sortir de l’impasse culturelle.