Les autorités tunisiennes n’ont pas honoré leur promesse de fermer, en juin 2021, la dangereuse et plus grande décharge de la Tunisie, à savoir Borj Chakir, laquelle symbolise toutes les difficultés qu’ont ces autorités à résoudre le problème de la gestion des déchets dans le pays.
“L’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED) négocie actuellement la prolongation de 3 ans supplémentaires les contrats d’exploitation de la décharge, à travers un arrêté ministériel”, affirme Youssef Ayari, membre du Conseil municipal de la Commune de Sidi Hassine et l’un des initiateurs de la campagne baptisée “Sakkar El Msab” (Fermez la décharge).
Pourtant, le 5 avril 2021, le ministre des Affaires locales et de l’Environnement par intérim, Kamel Doukh, avait même évoqué devant les députés cette date limite de juin 2021 pour la fermeture de ce dépotoir et la fin du calvaire que vivent, depuis 22 ans, environ 180 000 habitants dans les quartiers d’El Attar/Borj Chakir, Jayara et Sidi Hassin (à l’ouest de la capitale).
Depuis 2011, les autorités répètent le même discours: couper avec la pratique de l’enfouissement des déchets et aller vers la valorisation et la création d’unités pour produire de l’énergie à partir des déchets. Jusqu’à présent, ces promesses sont restées lettre morte.
Des lobbies derrière ce blocage ?
“C’est l’option dictée par des lobbies des déchets en Tunisie qui ne veulent pas que la Tunisie mute vers la valorisation et le recyclage. L’enfouissement, qui coûte à l’Etat des fortunes, soit plus de 200 dinars la tonne (du centre de transfert à la décharge), est un marché juteux pour des sociétés qui manipulent les décideurs…”, déplore Hamdi Chabâane.
A cet égard, l’Etat prend en charge les frais de collecte et de transport des déchets jusqu’à la décharge (à raison de 80% l’Etat et 20% la commune). Les exploitants des charges se contentent de déposer les déchets dans les casiers du dépotoir, sans aucun respect des normes nationales et internationales en la matière et au mépris des considérations environnementales.
Les alternatives existent pourtant. Il s’agit entre autres de “l’intercommunale”, qui consiste en la création d’entreprises publiques par des communes afin d’accomplir des missions de service public d’intérêt communal. L’objectif est de gérer au mieux les déchets dans le cadre du développement durable de chaque région.
Cette pratique, déjà en phase expérimentale dans les communes de La Marsa, Carthage et Sidi Bou Saïd (banlieue nord de Tunis), permet de préserver les ressources naturelles en conciliant au mieux les enjeux sociaux, économiques et environnementaux qui y sont liés.
“Techniquement, la fermeture d’un seul coup de la décharge n’est pas possible. Il faut commencer par créer des projets pilotes de valorisation au niveau de certaines municipalités pour maîtriser le processus et l’étendre après au reste”, explique Chabâane.
Située à 8 km de la capitale Tunis, la décharge de Borj Chakir, la plus grande en Tunisie, reçoit quotidiennement les déchets de 38 municipalités (de 2 700 à 3 000 tonnes par jour) transportés par camions depuis les gouvernorats de Tunis, La Manouba, Ariana et Ben Arous.
Répartie sur une superficie de 124 hectares, la décharge est utilisée pour l’enfouissement des déchets sur un terrain de 80 hectares.
La hauteur des dunes de déchets est de 10 mètres et quatre mètres de profondeur d’enfouissement, tandis que la profondeur de la nappe phréatique d’eau est entre 12 et 15 mètres. La quantité de liquide issue des déchets est collectée dans 12 bassins de lixiviats.
A rappeler qu’un grand incendie avait ravagé, en juin 2019, près de 7 hectares de la décharge. Le brasier et les émanations toxiques avaient provoqué l’hospitalisation de plusieurs enfants de la région.
Cette catastrophe avait renforcé les revendications des populations locales en faveur de la fermeture de la décharge. Les citoyens des quartiers à proximité de Borj Chakir continuent à militer dans le cadre de la campagne “Sakkar El Masab”.
Ils revendiquent, entre autres, un réaménagement du site conformément aux objectifs du développement durable, notamment la lutte contre la pauvreté et contre la pérennisation des emplois précaires, dont ceux des chiffonniers (dits “Berbéchas” en dialecte tunisien), pour qui les dépotoirs constituent une source de revenu.
La production de déchets en Tunisie est estimée à 2,5 millions de tonnes par an, dont 63% sont des déchets organiques, 9,4% plastiques et 8,7% déchets de textile.