La filière de l’élevage est en ébullition, l’approche de l’Aïd El Kebir oblige. Mais pas que. Contre toute attente et sans concertation avec les syndicats de la branche, le gouvernement a décidé d’augmenter de 8 dinars le prix de l’orge fourragère, portant le quintal de 42 dinars à 50 dinars.
Abou SARRA
L’orge et le son (résidu obtenu lors de la mouture après séparation de la farine par tamisage ou blutage) sont les aliments pour bétail les plus prisés par les éleveurs tunisiens pour la simple raison qu’ils sont subventionnés par l’Etat. Ce dernier importe, chaque année, entre 800 et 900 000 tonnes d’orge.
A l’origine, une augmentation de l’orge fourragère
Pour revenir à l’augmentation du prix de l’orge, appuyés par leurs syndicats (UTAP, SYNAGRI), les éleveurs estiment que cette majoration des prix tombe mal pour plusieurs raisons.
En premier lieu, elle intervient à quelques semaines seulement de la fête du sacrifice, rendez-vous annuel au cours duquel les éleveurs ont l’habitude de rentabiliser leur production de l’année.
Deux conséquences seraient attendues : le prix du mouton devrait augmenter sensiblement, passant à une fourchette de 600 à 650 dinars contre 450 à 500 dinars en 2020. C’est du moins ce qu’avait annoncé, sur les ondes de la radio privée Express FM, Faouzi Zayani, président du Syndicat national des agriculteurs (Synagri).
Toujours selon lui, par l’effet de cette augmentation, le prix de viande va augmenter, au grand dam du consommateur, de 3 à 4 dinars.
Le Synagri est persuadé que cette augmentation, décidée sans crier gare, porte l’empreinte du FMI, en ce sens que la loi de finances 2021 n’a rien prévu dans ce sens.
Est-il besoin de rappeler, à ce propos, qu’en prévision de l’octroi, en principe, au mois de septembre prochain, de nouvelles facilités de paiement à la Tunisie, le FMI est en train de mettre la pression sur le gouvernement actuel afin de l’amener à réduire de manière drastique les subventions dans le pays.
Difficultés structurelles
Pour sa part, Mnaouar Essaghiri, directeur de la production animale à l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), cette augmentation surprise du prix de l’orge fourragère vient aggraver la situation déjà précaire des éleveurs et s’ajouter à d’autres difficultés structurelles. Celles-ci consistent en les problèmes rencontrés pour s’approvisionner, normalement, en aliments pour bétail subventionnés et importés, en raison de l’absence de contrôle des circuits de distribution.
Concernant les produits subventionnés, le problème réside dans la distribution. Par les chiffres, Mnaouar Essaghiri a révélé aux médias que les pertes supportées par les éleveurs par l’effet des achats des aliments pour cheptel sur le marché parallèle se chiffrent à 50 millions de dinars (MDT) par an, notant que seuls 35% des quantités du son disponibles sont vendues conformément au prix officiel. Un sac de son de 50 kg serait vendu à 35 dinars sur le marché informel contre 12,5 dinars sur le marché formel.
Autres difficultés citées par Mnaouar Essaghiri : l’augmentation, depuis huit mois, du prix des aliments composés pour bétail importés (soja, seigle…) au fort taux de 30%, soit en valeur 250 dinars la tonne, et le triplement, cette année, du prix de la botte de paille lequel est passé de 4 à 12 dinars en 2020.
Face à cette situation, les éleveurs, soutenus par leurs syndicats, sont descendus dans la rue pour protester contre la précarité de leur situation. Point d’orgue des protestations, l’accès aux locaux d’une municipalité de Djerba d’éleveurs montés sur leurs chevaux.
Désintérêt pour les intrants !
De ce fait, on peut s’étonner de l’absence d’une stratégie nationale en matière de production et de distribution d’intrants agricoles.
Au regard de la structure de cette filiale, on a l’impression que tout est fait pour dissuader la production d’intrants agricoles et encourager, à contrario, leur importation.
Les difficultés qu’a rencontrées, il y a quelques jours, un promoteur d’un projet d’intrants agricoles dans la délégation de Zannouch (gouvernorat de Gafsa) en sont une belle illustration.
En effet, le promoteur de cette usine dénommée « Société Aliani pour la fabrication d’aliments composés pour bétail » n’a pas pu la faire démarrer pour un motif a priori « absurde » : la direction régionale de la STEG n’aurait pas à sa disposition les ingénieurs et techniciens nécessaires pour alimenter l’usine en courant électrique.
D’un coût global de 1,5 million de dinars, ce projet, qui devrait employer une centaine d’ouvriers dont 50 de manière permanente, serait fin prêt à 95%.
Il est étonnant que les autorités régionales et mêmes centrales n’aient pas réagi pour résoudre le problème de cette usine qu’on pourrait qualifier de stratégique pour la sécurité alimentaire du pays.
Ce désintérêt des autorités pour les intrants agricoles est également perceptible à travers l’inexistence de structures de formation spécialisées en matière de développement de l’alimentation animale.
Le plus récent centre de formation dédiée exclusivement à cette spécialité a été inauguré en octobre 2020. Il a été créé en partenariat entre l’Institut national agronomique de Tunisie (INAT) et le Conseil américain des céréales (US Grain Council).
Ce centre pèche par le fait qu’il n’a pas une dimension strictement nationale. C’est une structure régionale qui peut recevoir des apprenants du Maghreb et d’Afrique. Sa capacité d’accueil serait ainsi amoindrie.
Moralité de l’histoire : il reste beaucoup à faire pour intégrer cette filière des intrants et pour en faire un support logistique au secteur stratégique de l’élevage. Il en va de l’autosuffisance alimentaire du pays.