En Tunisie, les réserves des barrages ont enregistré une baisse de 43,9% en 2021 contre 76,1% en 2019, suite à deux années consécutives de sécheresse. L’année en cours s’annonce encore plus difficile que 2020 pour la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (SONEDE).
Dans un entretien accordé à l’agence TAP, le directeur général de la SONEDE, Mosbah Helali est revenu sur les solutions mises en place par la société afin de garantir l’approvisionnement en eau potable. Interview.
Quel est le volume des réserves nationales en eau qui sont actuellement, à la disposition de la SONEDE ?
Mesbah Helali (MH) : A la date du 28 juin 2021, la capacité de stockage des barrages a régressé à 43,9% en 2021, contre 76,1% en 2019. Cette baisse est due à la sécheresse qui a frappé la Tunisie, durant deux années successives, outre la régression du niveau des ressources dans les puits profonds.
Sur 1000 puits exploités par la SONEDE, certains sont à sec, tandis que d’autres ont enregistré une baisse du niveau de l’eau. Ces puits se trouvent particulièrement, dans les régions de Zaghouan, du Kef et de Gafsa.
Quelles sont les perspectives pour cet été ?
MH: Les difficultés liées à l’approvisionnement en eau différent d’une région à une autre. Certaines zones comme le Sahel, le Cap-Bon, Sfax, le sud-est et Gafsa connaîtront cet été des coupures, et ce en raison de la densité de la population et de l’activité industrielle dans ces zones qui souffrent déjà d’un déficit structurel en eau.
A titre d’exemple, la région de Sfax enregistre un déficit estimé à 15%. Les régions du sud-est, de Tataouine et de Gabès présentent un déficit de 25%. Il est donc impératif de rationaliser la consommation en eau afin de faire face à cette situation.
Pensez-vous que le taux de consommation par habitant en Tunisie est approprié par rapport aux ressources en eau disponibles ? Et quelles sont les mesures à prendre, afin de fournir les quantités d’eau nécessaires ?
MH : Le Tunisien est considéré généralement, comme un gaspilleur d’eau car c’est un produit qui n’est pas cher. La moyenne de consommation d’eau par habitant est très élevée en Tunisie par rapport aux ressources disponibles. Elle est estimée à 120 litres par jour, dont 100 litres destinés à usage domestique.
A court terme, la SONEDE a lancé un programme qui comprend 157 interventions dans les différentes régions du pays, afin de creuser de nouveaux puits profonds, renforcer la capacité de pompage d’eau, et améliorer les conduites d’eau et les équipements dans plusieurs régions. Le taux de réalisation de ce programme s’élève à ce jour, 70%.
Sur le moyen et le long terme, la société prévoit la mise en œuvre de son plan quinquennal 2021-2025, lequel regroupe d’importants projets, moyennant 3,5 milliards de dinars. Parmi ces projets, figure la finalisation de la station de dessalement de l’eau de mer dans la région de Zarat à Gabès (sud de la Tunisie), qui sera dotée d’une capacité de production journalière estimée à 50 mille m3, laquelle pourrait être portée à 100 mille m3 par jour. Le taux d’avancement des travaux de ce projet (qui approvisionnera les gouvernorats de Gabès, Médenine et Tataouine en eau) est de l’ordre de 60%.
La société envisage, également, le lancement, durant ce mois de juillet 2021, du projet de station de dessalement de l’eau de mer de Sfax, dont la capacité de production est de 100 mille m3 par jour, extensible à 200 mille m3 par jour.
Elle prévoit, en outre, la réalisation de 6 autres petites stations de dessalement des eaux souterraines salines dans les gouvernorats de Tozeur, Gafsa, Sidi Bouzid, Kébili et Médenine.
Par ailleurs, elle lancera, en août 2021, les travaux de la station d’épuration des eaux de surface à El Kalâa El Kobra, d’une capacité de production de 350 mille m3 par jour. Cette station desservira les gouvernorats du Sahel, Sfax et Kairouan.
Pour ce qui est du renforcement du réseau d’approvisionnement d’eau dans le Grand Tunis, la SONEDE a programmé la réalisation d’une station de traitement dans la région de Bejaoua, dont la capacité de production journalière sera de 350 mille m3.
D’après-vous, ces projets seront-ils en mesure de résoudre le problème et de fournir les quantités d’eau potable nécessaires à la population ?
MH : Si nous parvenons à achever l’ensemble de ces projets, à l’horizon 2025 comme prévu, nous pourrons éviter les problèmes d’approvisionnement en eau jusqu’à 2035, mais à condition d’améliorer la gestion de nos ressources en eau et d’opter pour une consommation rationnelle de ce bien vital et hautement stratégique.
Quelles sont les causes qui peuvent entraver la finalisation de ces projets et quelles sont les violations commises contre le domaine public en termes de l’eau ?
MH : Au cours des dix dernières années, un problème au niveau de mobilisation de fonds a été enregistré, ce qui a retardé le lancement des projets programmés depuis 2016. Depuis 2020, la réalisation de certains projets a été également, retardée en raison, des conditions sanitaires liées à la propagation de la Covid-19.
En outre, de nombreux agriculteurs ont contribué à perturber les projets de forage de puits et certains d’entre eux ont même porté atteinte aux équipements et aux réseaux dans certains gouvernorats, dont Kairouan, Gafsa, Sidi Bouzid et Tataouine.
S’agissant des violations contre le domaine public hydraulique, ils portent particulièrement sur la surexploitation des ressources en eaux souterraines, à travers le forage anarchique de puits, ce qui a aggravé davantage la situation.
La surexploitation des ressources en eau de surface se manifeste aussi, à travers l’utilisation de l’eau potable à des fins agricoles, laquelle constitue une pratique prohibée par la loi, en vertu du sixième chapitre du décret n° 157 de 2017, interdisant l’utilisation de l’eau potable à des fins agricoles. Ces pratiques ont été observées, notamment tout au long du bassin de l’Oued Medjerda particulièrement à Jendouba et Béja.
Parmi les atteintes au domaine public hydraulique, figurent en outre, les raccordements anarchiques au réseau sur tout le territoire du pays.
Les saccageurs ont-ils été traduits devant la justice ?
MH: En réalité, bon nombre d’entre eux n’ont pas été identifiés d’autant qu’ils procèdent au forage et en remblaiement en catimini la nuit . Cependant, quelques 1400 affaires sont portées devant la justice dans ce domaine, dont certains ont donné lieu à des jugements. Toutefois, les jugements ne sont pas parfois exécutés à cause de l’intervention de certains responsables tels que les chefs de secteur ou Omda.
A la lumière de déficit de ressources, et un taux de gaspillage de 40% au niveau du réseau d’irrigation, que proposez-vous pour rectifier le tir ?
MH : Au niveau du secteur agricole, un programme de rationalisation de la consommation et de maîtrise des techniques d’irrigation est mis en œuvre. D’ailleurs toute économie réalisée dans ce domaine permet d’augmenter la part du Tunisien en eau potable.
L’intérêt national exige l’examen de la carte agricole et impose de prendre en considération la place des ressources hydrauliques dans le modèle de développement et d’évaluer l’empreinte eau de chaque produit. Ainsi, la production d’un litre de lait nécessite 790 litres d’eau et la production d’un kg de viande de bovin nécessite la production de plus de 15000 litres d’eau (au niveau de toute la chaîne de production), alors que la production de 1kg d’oranges nécessite 500 litres d’eau. Par conséquent, il vaudrait mieux importer certains produits au lieu de les produire localement, car le coût de production revient plus cher en eau.
Que faudrait-il faire à l’avenir ?
MH : Je pense qu’aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale, nous ne pouvons plus vivre selon le même modèle qu’il y a 10 ou 15 ans, en raison des changements climatiques, d’autant que nos besoins sont en hausse et les ressources sont en baisse.
Il faut donc, convaincre les citoyens de la nécessité de rationaliser leur consommation d’eau et de l’importance de prendre en considération la succession des années de sécheresse. J’appelle, par ailleurs, à aider la société à réaliser ses projets et j’invite les citoyens à ne pas mettre des obstacles aux projets réalisés dans certaines régions.