La situation délétère dans laquelle se trouve le pays, avec un risque de banqueroute à l’horizon, n’est pas le fruit du hasard. Elle est le résultat des mauvaises politiques suivies par les gouvernants depuis l’accès du pays à l’indépendance en 1956. D’où l’enjeu, au regard de la gravité de la situation pour les think tanks du pays, d’engager, séparément ou ensemble, une réflexion sur les moyens de réinventer la gouvernance du pays et de migrer, de ce fait et sur la base de valeurs communes, vers une 3ème République. L’essentiel est de disposer le jour «J » d’un document de référence et d’un support théorique qu’on peut utiliser à bon escient.

Abou SARRA

En ce jour où le pays célèbre le 64ème anniversaire de la proclamation de la République, tout Tunisien honnête peut remarquer que, durant cette période, la Tunisie, sous le joug de la dictature de trois partis autoritaires, le parti socialiste destourien (PSD) au temps de Bourguiba, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) au temps de Ben Ali, et « Ennahdha » de Rached Ghannouchi, a connu presque tous les systèmes politiques possibles.

Chaque fois, l’échec au rendez-vous

On peut les résumer, au plan économique, en cinq phases importantes : le collectivisme des années soixante d’Ahmed Ben Salah, l’économie mixte des années 70 de Hédi Nouira, le populisme chaotique des années 80 de Mohamed Mzali, le néo-libéralisme et l’économie de rente des années 90 de Ben Ali, et le pillage systématique de l’Etat au temps de l’islam politique au temps de Rached Ghannouchi (aujourd’hui).

Globalement, sur le plan politique, l’expérience a montré que l’égalitarisme, l’ouverture non concertée sur l’étranger (globalisation) et la démocratie ne sont pas dans l’ADN des Tunisiens. Du moins, ils n’y ont pas été préparés.

Au rayon économique, le résultat est presque le même. Les Tunisiens ont expérimenté, durant plus d’un demi-siècle sans aucun succès pérenne, l’étatisation totale de l’économie, l’économie de copinage et de rente et son corollaire le clientélisme, et la confiscation et le pillage de l’économie  au nom de la légalité des urnes qui a fait émerger l’Islam politique avec la complicité extérieure.

Le constat général est que, depuis l’indépendance, les gouvernants qui se sont relayés à la tête du pays ont eu cette fâcheuse tendance à ne pas croire en le peuple tunisien et en ses capacités, à retarder la démocratisation du pays, à se servir plutôt qu’à servir et à consacrer la dépendance du pays des mouvances politiques étrangères (ultra-libéralisme sauvage, mouvance islamiste…).

Un bilan catastrophique

Résultat : 64 ans après la proclamation de la République, le Tunisien est toujours mal logé, mal soigné, mal habillé, mal servi, mal encadré… Ses enfants, son espoir, sont mal éduqués et sous-formés, ont du mal à accepter le quotidien de leurs parents. Ils ont tendance à quitter le pays par tous les moyens.

Comble du cynisme, l’actuel ministre des Affaires sociales a déclaré, sans aucune gêne, sur une chaîne privée, que l’Etat tunisien n’a jamais engagé, depuis 1956, une véritable politique contre la pauvreté. Aujourd’hui, en Tunisie, le taux de pauvreté, en termes de misère humaine (accès à l’éducation, la santé…), est estimé à 30% de la population. Quelque 100 mille élèves décrochent chaque année. Le taux d’analphabétisme avoisine les 20%. Le nombre des chômeurs tourne autour de 20% de la population active.

Il va de soi qu’avec au total environ 5 à 6 millions d’analphabètes et d’illettrés, 2,5 millions d’immatures dont 900 mille d’enfants pauvres selon l’actuel ministre des Affaires sociales, un million de retraités et environ un million d’intégristes qui veulent ramener le pays à 14 siècles en arrière, le pays ne peut aucunement s’en sortir et se redresser, avec les mêmes moyens et les mêmes politiques.

Pour remédier à cette situation catastrophique, les cadres du pays, toutes disciplines confondues, devraient contribuer à confectionner un programme multidisciplinaire pour sauver le pays.

Il s’agit de réinventer la République sur la base d’un ensemble de valeurs partagées et acceptées par l’écrasante majorité des Tunisiens.

Des pistes à explorer

En vrac, il serait judicieux, à notre avis, de commencer par l’évaluation du potentiel des ressources naturelles du pays y compris les eaux territoriales. Sur la base de cette évaluation – qui doit aboutir à un nouvel  aménagement du territoire – des cartes sectorielles pourraient être élaborées pour spécialiser les productions au niveau des régions économiques.

Concomitamment, pour améliorer la qualité de l’homme et son quotidien, deux réformes méritent d’être engagées. Celles de l’éducation avec une orientation volontariste vers l’économie verte et numérique, et de la formation. L’idéal serait de doter chaque village d’un centre de formation professionnelle adapté aux spécificités des métiers qui y sont exercés.

Dans le domaine politique, l’effort à déployer réside dans la révision de la Constitution avec comme recommandations l’institution de la laïcité de l’Etat qui permet la liberté du culte, la séparation de la religion de la politique, le renforcement de l’indépendance de la justice et des médias, l’institution de l’économie solidaire et sociale en tant que secteur concurrentiel à forte valeur lucrative autant que les les autres secteurs public et privé, la démocratisation de l’entrepreneuriat avec l’application de la loi sur l’auto-entrepreneur…

Par-delà ces propositions à la-va-vite dans la mesure où des études de telle ampleur ne sont pas de notre ressort, nous sommes convaincus que le moment est venu pour tout repenser dans notre pays : agriculture, culture, sport, recherche et développement, diplomatie, syndicalisme, encadrement de la jeunesse, entreprises publiques, couverture sociale, compensation…

A bon entendeur.