La décision du président de la République, Kaïs Saïed, de limoger le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, et de geler l’activité du parlement (ARP), conformément à l’article 80 de la Constitution, avec comme corollaire principal la mise à l’écart (du moins l’espace d’un mois) de la majorité parlementaire conduite par le parti islamiste Ennahdha, risque de changer les alliances de la Tunisie avec certains pays arabes, particulièrement avec ceux du Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Abou SARRA

Un regard d’ensemble sur l’état actuel de ces relations montre que la Tunisie entretient des rapports corrects avec la majorité des pays arabes, et que toute évolution envisagée, suite à cette décision «à la tunisienne», semble jouer en faveur du chef de l’Etat tunisien et même de son avenir politique.

Point d’orgue de ces relations, l’affirmation de rapports privilégiés, stratégiques et forts entre la Tunisie et deux puissances régionales arabes, en l’occurrence l’Algérie et l’Egypte.

Le président Kaïs Saïed a effectué des visites officielles en Algérie, début février 2020 et en Egypte, du 9 au 11 avril 2021. Les communiqués communs publiés à l’issue de ces visites font état d’une parfaite entente entre le chef de l’Etat tunisien et les présidents algérien et égyptien.

Vers le réchauffement des relations avec les Emirats arabes unis et l’Arabie Saoudite

Néanmoins, les relations entre la Tunisie, d’un côté, les Emirats arabes unis (EAU) et l’Arabie Saoudite, de l’autre, sont les mieux indiquées pour connaître d’importants développements à la faveur de la décision historique de Kaïs Saïed.

Plombées de fait depuis 2011, en raison de l’accès en Tunisie de l’islam politique au pouvoir, les relations avec les Emirats arabes unis et l’Arabie Saoudite pourraient être relancées par l’effet de l’écartement, même provisoire, du parti Ennahdha – qui appartient idéologiquement à la mouvance islamique « Al Ikhwan », les Frères musulmans ». Cette confrérie est classée aux Emirats arabes unis comme «organisation terroriste».

A titre indicatif, les Emirats, qui n’ont jamais accepté l’accès, en 2011-2013, d’Ennahdha au pouvoir, avaient coupé, durant la période de la Troïka, toute aide financière et économique à la Tunisie. Après les élections générales de 2014 et la victoire de Béji Caïd Essebsi, ils avaient misé sur le parti Nidaa Tounes pour avoir un pied à terre en Tunisie.

Malheureusement, ce parti les a trahis, tout comme les Tunisiens d’ailleurs, et ce en gouvernant avec le parti islamiste. Nidaa Tounès les aurait également déçus en leur refusant d’opérer en Libye depuis le territoire tunisien pour neutraliser les islamistes de Tripoli.

Vers la relance des mégaprojets en Stand Bye

Pour certains observateurs, si cette relance se concrétise, elle serait visible à travers le démarrage effectif d’importants projets d’investissement saoudiens et émiratis en Tunisie, actuellement en stand bye.

Pour la partie saoudienne, la réalisation, à Kairouan, de l’hôpital multidisciplinaire financé par un don saoudien, ne manquera pas d’améliorer l’image de l’Arabie Saoudite auprès de la région de Kairouan et les régions voisines.

Par ailleurs, ce projet, qui connaît un certain retard en raison de surcoûts générés par le report de son démarrage – surcoûts que l’entreprise chargée de son exécution refuse de supporter toute seule – pourrait, une fois le problème réglé, être attribué au président tunisien et améliorer ainsi ses chances pour être réélu en 2024 par les populations du centre-est.

Toujours au rayon des Saoudiens, une fois les relations relancées et boostées, Kaïs Saïed pourrait trouver auprès de l’Arabie Saoudite un grand appui multiforme pour financer son projet dada de la « Cité médicale de Kairouan », particulièrement par le biais de la Banque islamique de développement (BID) et d’autres mécanismes de financement saoudiens.

Quant aux EAU, d’importants mégaprojets de plus de 30 milliards de dinars, actuellement en stand bye, pourraient être relancés pour peu que les relations se réchauffent entre les deux pays.

Au nombre de ceux-ci figurent le projet Tunis Sports City sur les berges du Lac nord de Tunis du magnat Boukhater (5 milliards de dollars) et du projet «la Porte de la Méditerranée».

Ce dernier projet consiste en l’édification sur 1000 ha fournis par l’Etat tunisien au dinar symbolique d’une nouvelle ville d’au moins 250.000 habitants que le groupe émirati Sama Dubaï s’était engagé à édifier, depuis 2007, au lac sud de Tunis, moyennant un investissement à terme de 25 milliards de dollars.

Malheureusement, ces deux mégaprojets sur lesquels le gouvernement tunisien a beaucoup misé pour créer de nouveaux emplois et faire de Tunis une grande métropole méditerranéenne similaire à Rome, Barcelone et Marseille, sont toujours bloqués pour des raisons politiques : la présence au pouvoir des islamistes dans les rennes du pouvoir.

Qatar, le grand perdant ?

Pour le cas de l’Etat de Qatar, qui a toujours soutenu et sponsorisé (aux côtés d’Erdogan) le parti islamiste Ennahdha, serait le principal perdant.

Toutefois, les déboires que connaît partout dans le monde l’islam politique et sa réconciliation avec l’Egypte et les pays voisins, les Emirats unis et l’Arabie Saoudite doivent en principe le dissuader de financer toute action de sape contre la Tunisie.

Kaïs Saïed, le grand gagnant ?

Cela pour dire que l’écartement d’Ennahdha, avec tout ce que cela suppose comme poursuites judiciaires pour les abus commis, est un changement majeur en Tunisie et va avoir des profondes répercussions sur les relations de la Tunisie avec son environnement régional.

Le principal gagnant est manifestement Kaïs Saïed en personne qui a eu le mérite d’avoir actionné le levier de l’article 80 de la Constitution et d’avoir épargné au pays une insurrection dévastatrice. Il en récoltera, peut-être, les fruits lors de la prochaine élection présidentielle.