Voici le message que m’a adressé un banquier de la place tard dans la soirée hier:
«Le trésor fait des émissions hebdomadaires qui sont tout de suite rachetées par la Banque Centrale. C’est un désastre monétaire».
Déchiffrons un peu. Le trésor, c’est à dire l’État emprunte chaque semaine des sommes colossales aux banques tunisiennes émettant des BTC, c’est à dire des bons de trésor à court terme (3 mois). Mais les banques ne disposant pas des montants empruntés par l’État. Simple, la BCT rachète aux banques les BTC en question en leur laissant une petite marge bénéficiaire au passage.
Un vrai désastre monétaire. La planche à billets fonctionne à fond la caisse.
J’avais publié il y a quelques jours un statut avec comme titre «LA PLANCHE À BILLETS SE DÉCHAÎNE DE NOUVEAU». Là, la planche à billets s’emballe littéralement.
Le 23 juillet 2021 la Tunisie devait rembourser un crédit de 500 millions de Dollars qui comportait la garantie des États Unis. Ce crédit a été «remboursé» d’une manière inédite, de la pire des manières. En effet le 22 juillet l’État a emprunté aux banques tunisiennes , sous forme de BTC sur 3 mois, la somme de 1,4 milliard de Dinars à 6,52%. Mais comme les banques ne disposaient pas des montants prêtés à l’État, la BCT rachète ces mêmes BTC en faisant tourner la planche à billets. En somme l’État rembourse un crédit sur 7 ans assorti d’un taux d’intérêt de 2,5% par un autre crédit sur 3 mois assorti d’un taux d’intérêt de 6,52% !!!
Pour payer les salaires de la fonction publique, l’État et la BCT procèdent de la même manière.
Le marché financier international le sait évidemment et réagit d’une manière violente. Le Lundi 26 juillet au matin les obligations représentatives de la dette extérieure tunisienne chutent brutalement. À titre d’exemple une obligation représentant une dette de 100 Dollars sur la Tunisie était vendue à 85 Dollars. Soit une perte de 15% pour le détenteur de l’obligation qui a prêté à la Tunisie. En d’autres termes ceci veut dire que la Tunisie ne peut plus, oui ne peut plus rien emprunter au marché financier international. C’est pour cela aussi que la notation souveraine de la Tunisie n’arrête pas de chuter.
L’échéance du 5 août: 500 millions de Dollars est «payée» de la même manière.
La BCT contourne allègrement la loi. En effet la loi interdit à la BCT de prêter directement à l’État ou à souscrire directement des BTC ou des BTA (Bons de Trésor Assimilables) émis par l’État. Qu’à cela ne tienne la BCT fait souscrire les BTC (ou BTA) par les banques tunisiennes et les leur rachète le même jour (Moussa el Haj et Haj Moussa, vous savez). S’agit-il là d’un contournement ou peut-être même d’un détournement de la loi. Il s’agit sûrement d’un désastre monétaire porteur de déséquilibres graves.
Par ces discours devant l’ARP, et surtout depuis novembre 2020 à l’occasion de la discussion de la loi des finances complémentaire 2020, le Gouverneur de la BCT voulait nous faire croire qu’il était le champion, l’apôtre de l’orthodoxie et de la rigueur monétaire.
La BCT avait refusé d’injecter des liquidités au moment où il le fallait, c.a.d. au moment du confinement général et du confinement ciblé. C’est à dire au moment où la Tunisie risquait de perdre des milliers d’entreprises et des milliers d’emplois et de voir son économie sombrer dans une récession sans précédent
Il disait, et je reprends ses termes, «je refuse d’ouvrir la vanne». Ah bon. Et qu’est-ce que vous faites là Monsieur le Gouverneur. Vous aviez souvent dit à nos chers députés «je ne veux discuter qu’avec vous». Maintenant qu’ils ne sont plus là, je vois que vous ne discutez plus, car vous n’avez plus le temps. Vous êtes en effet occupé à faire tourner la planche à billets à plein régime. La BCT avait refusé d’injecter des liquidités au moment où il le fallait, c.a.d. au moment du confinement général et du confinement ciblé. C’est à dire au moment où la Tunisie risquait de perdre des milliers d’entreprises et des milliers d’emplois et de voir son économie sombrer dans une récession sans précédent.
Elle avait refusé de le faire alors que le risque de regain de l’inflation était minime, voire inexistant (nous avions expliqué cela dans des statuts précédents). Le prétexte de la BCT était que sa mission était de combattre l’inflation.
Par cette gestion catastrophique de la politique monétaire nous avons comme résultat une récession profonde, la perte de milliers d’entreprises, la perte de milliers d’emplois et, cerise sur le gâteau (empoisonné) nous avons L’INFLATION.
Près de 20% des portefeuilles de crédits des banques tunisiennes (et donc de risque) sont des prêts à l’État tunisien
En plus de tout cela, il se passe quelque chose de très grave que la BCT ne mentionne jamais. Et pourtant la question est au cœur de son rôle de supervision du système bancaire. Près de 20% des portefeuilles de crédits des banques tunisiennes (et donc de risque) sont des prêts à l’État tunisien. Il s’agit d’une concentration de risque sans précédent qui a déjà mis à genoux d’autres pays. L’agence de notation Moody’s en parle clairement dans un de ses rapports publiés il y a quelques mois. Moody’s a même essayé de calculer le risque d’une telle situation sur les fonds propres des banques.
En clair ceci veut dire que:
1- la BCT a fini par ouvrir la vanne;
2- la BCT (avec son conseil d’administration) contourne la loi;
3- la BCT accepte de faire prendre au système bancaire et financier des risques excessifs;
4- la BCT est loin, très loin d’être le champion de la rigueur monétaire;
5- les banques tunisiennes ne savent pas / ne peuvent pas dire NON même lorsqu’il s’agit de prendre des risques démesurés pensant, à tort, que le risque de l’État est un risque «zéro».
Un vrai désastre monétaire, un vrai gâchis. Ils ont mis le feu (de l’inflation) à mon pays.
Ezzeddine Saidane