Ezzeddine Saïdane redoute l’emballement de la création monétaire. La BCT avait pourtant comme devise “tout sauf l’inflation“. Y a-t-il eu revirement de politique monétaire ?
Ali abdessalem
C’est un véritable cri d’alarme qu’a émis Ezzeddine Saïdane, lui-même ancien banquier. La BCT (Banque centrale de Tunisie) recourrait à la planche à billets ! C’est ainsi qu’il rapporte les faits dans un propos récent. La spirale inflationniste, selon Ezzeddine Saïdane, pourrait s’enclencher de nouveau. L’ennui est qu’au vu de la détresse économique du pays, le scénario d’une inflation à deux chiffres s’inscrit en filigrane.
Quelle part de vérité et peut-on encore conjurer le phénomène ?
Les liquidités manquent au système… Un “désastre monétaire“ ?
L’Etat est dans le besoin. Actuellement il manque de liquidités. Il essuie une disette de ses finances publiques, alors que son budget pour l’année en cours est béant. Et le 23 juillet 2021, il a dû faire face à une tombée d’un crédit international de 500 millions de dollars. Afin d’éviter le défaut de paiement, l’Etat a emprunté via le Trésor. Ce dernier a émis un volant de BTC à trois mois pour la contrevaleur de la tombée du crédit, soit 1,7 milliard de dinars environ.
Cependant, les banques qui ont souscrit l’émission ne disposaient pas des liquidités correspondantes, l’épargne nationale étant au plus bas, à 6 % environ du PIB. Et la BCT leur a racheté les titres en question.
Il y a bien eu création monétaire, mais la monnaie créée a servi à acheter des devises pour honorer l’échéance de crédit. Le montant ainsi créé n’alimentera pas la masse monétaire en circulation. L’émission étant à trois mois, l’opération sera renouvelée à l’échéance du trimestre. Espérons qu’elle sera circonscrite à cette seule opération, auquel cas il n’y a pas de quoi s’affoler et de redouter l’emballement de la planche à billets.
Il faut rappeler que cette émission pourra être résorbée dès que les finances de l’Etat lui permettront de payer le Trésor. Dans l’intervalle, il y aurait eu un air de panique pour le sort de l’encours de la dette tunisienne sur le marché international. Cela s’évalue par les CDS (Credit Default Swap). Il s’agit d’une assurance que contractent les détenteurs de la dette contre le risque de défaut de l’emprunteur.
La gêne de trésorerie de l’Etat tunisien étant connue des marchés, le CDS sur la Tunisie s’est envolé à 12,4 %, nous disent des cambistes de la place, à l’approche de l’échéance. Il aurait ensuite baissé à 10,6% une fois l’échéance réglée.
Toutefois, l’impasse persistante de la trésorerie publique hante les esprits. Il est vrai que les obligations tunisiennes s’échangeraient à un cours en dessous du nominal. Notre rating souverain le laissait présager car la dette tunisienne est quasiment spéculative. Par conséquent, les investisseurs n’ont pas à jouer aux oies effarouchées.
Faut-il pour autant céder au catastrophisme ? La Tunisie serait-elle privée d’émettre sur le marché international ? Inutile de spéculer sur le sort d’une dette quasi spéculative. Pour le coup, on sait que le marché sera regardant et par conséquent sévère. Sans compter que l’on peut regarder ailleurs, et nous pensons au Samouraï à Tokyo, où le marché serait plus clément.
Envers et contre toute attente, l’inflation pointe le nez
Dès son arrivée à la BCT en mars 2018, Marouane El Abassi a sonné l’hallali contre l’inflation. Le paradoxe est qu’il reconnaissait lui-même que l’inflation n’est pas d’origine monétaire, et pourtant il a mobilisé la politique monétaire à cette seule fin. Et le taux directeur a toujours été au-dessus du taux d’inflation de sorte que le taux d’intérêt réel soit positif. On lui reprochait d’étouffer la croissance et de se conformer à la conditionnalité des bailleurs de fonds dont le FMI. Sa réponse a toujours été qu’il faut permettre aux opérateurs économiques “d’ancrer les anticipations“, c’est-à-dire d’avoir une certitude sur l’allure des taux. Voilà que pour le mois de juillet 2021, le taux d’inflation a fait un pic à 6,4 %. Le Taux directeur de la BCT étant à 6,25 au 9 août, le taux d’intérêt réel, par conséquent, passe en négatif à -0,19 %.
L’on est fixé sur l’origine de cette poussée. Les tarifs des cigarettes et des transports notamment ayant augmenté, cela se retrouve dans les comptes. Alors, s’il s’agit d’un phénomène à portée réduite, le taux directeur sera retouché en conséquence, nous le pensons. Mais si l’augmentation persiste, alors nous serions entrés dans un autre cycle et la BCT serait amenée à reconsidérer les canons de sa politique monétaire.