C’est devenu presque systématique : chaque fois que le président de la République, Kaïs Saïed, effectue une visite inopinée dans une zone du pays ou reçoit de hauts cadres au palais de Carthage, il en profite pour lancer des fléchettes empoisonnées en direction de ce qu’il appelle les «ennemis du peuple tunisien» (partis apatrides, contrebandiers, juges incompétents, responsables corrompus…).
Abou SARRA
D’ailleurs, ce sont ces fameuses piques, qui peuvent être assimilées à l’humour noir, que le public a tendance à retenir et à apprécier le plus dans les discours improvisés du chef de l’Etat. Ces piques étant par ailleurs une manière pour lui de se défendre contre les agressions qu’il subit personnellement et les négligences perpétrées contre le pays et son peuple.
Les cibles privilégiées de ses piques sont les composantes de la coalition parlementaire qui soutenait le chef du gouvernement évincé (Ennahdha, Qalb Tounès, El Krama), les juges corrompus, certains responsables incompétents et corrompus, les spéculateurs et contrebandiers mafieux qui vampirisent l’économie du pays.
Des adversaires politiques qui veulent sa peau
Au rayon politique, il est allé jusqu’à qualifier, au cours d’une réunion au palais de Carthage, ses détracteurs de « variants », allusion à l’émergence aux variants de la Covid-19 et à ses adversaires, les dirigeants nahdhaouis et alliés. Il faut dire que ces derniers étaient très nombreux à critiquer, de manière indécente et insolente, son rendement à la tête de la magistrature suprême et à lui faire assumer la responsabilité du blocage politique et institutionnel que connaissait le pays avant les manifestations du 25 juillet 2021.
A titre indicatif, le gendre de Rached Ghannouchi, chef d’Ennahdha et président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Rafik Abdessalem lui consacrait quotidiennement une diatribe sur sa page Facebook.
Concernant les spéculateurs, le chef de l’Etat a effectué, le 11 août 2021, une visite inopinée aux centres de réfrigération des produits agricoles situés, à Tebourba et à Jedaïda (gouvernorat de La Manouba) et a critiqué les politiques de distribution des produits agricoles.
Il a déclaré, aux médias, avec beaucoup d’humour : « Je suis venu inspecter, non pas des centres d’approvisionnement mais des circuits d’affamement… » avant de marteler : « C’en est fini de ces circuits qui ont été créés pour affamer le peuple tunisien ».
Une justice laxiste à dessein
S’agissant de la justice, le président de la République n’a jamais été satisfait du rendement de la justice tunisienne. Globalement, il lui reproche laxisme, lenteur excessive dans l’examen des dossiers de corruption et indulgence à l’endroit de certains suspects.
Le 19 août 2021, Saïed recevait au palais de Carthage le ministre des Affaires sociales et ministre de la santé par intérim, Mohamed Trabelsi, et la chargée de gestion du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’investissement, Sihem Boughdiri Namsia, deux départements qui n’ont rien, en principe, à voir avec la justice. Et pourtant, lors de cet entretien, le chef de l’Etat a trouvé le moyen d’en parler.
« Certains volent des millions de dinars (allusion à la juge épinglée avec 1,5 million de dinars en devises étrangères) et d’autres vendent de la drogue et la justice les laissent libres. (…) La justice doit assumer ses responsabilités, ou bien elle se montre à la hauteur du rendez-vous avec l’histoire, ou bien les juges qui montrent une certaine complicité avec ceux-là (les accusés de corruption) en assument la responsabilité ».
Le message du président est clair.
Incompétence des responsables
En ce qui concerne l’immobilisme et l’incompétence de certains responsables, la pique du chef de l’Etat a été merveilleuse lors d’une visite dans la ville de Kairouan.
«Si les Aghlabides étaient encore vivants, ils auraient construit de nouveaux bassins», a-t-il dit à l’adresse des responsables centraux et régionaux.
A travers cette remarque, le président de la République sermonnait ces responsables pour le retard qu’accuse la restauration des bassins aghlabides et de la médina de Kairouan, en dépit de la disponibilité du financement du projet. Il voulait montrer combien nos ancêtres étaient ingénieux, peut-être même mieux que nous.
Pour mémoire, financé par un don saoudien de 15 millions de dollars, en date de 2013, ce projet a pour objectif de restaurer les monuments historiques de la ville de Kairouan (Grande mosquée Okba Ibn Nafaa, Médina, zaouias…) et de mettre en valeur une cinquantaine de bassins aghlabides classés “patrimoine universel par l’UNESCO”.
Tout cela pour dire que Kaïs Saïed n’est pas seulement un RoboCop probe et juste qui combat la corruption de l’Etat, mais une personne sensible et pleine d’humour. C’est ce qui lui vaut, au fil des jours, sympathie et soutien auprès de l’écrasante majorité des simples Tunisiens.