Parmi les plus graves dysfonctionnements politiques, à l’origine des blocages institutionnels qui ont prévalu ces dernières années en Tunisie figurent les limites du système parlementaire, et son corollaire le «régime des partis», voire la «particratie».
Abou SARRA
Dans une communication intitulée « Des limites actuelles des partis et des dangers de la particratie » et faite dans le cadre de l’université d’été de l’Association club Mohamed Ali de la culture ouvrière (ACMACO), l’universitaire Azzam Mahjoub a apporté des éclairages sur la notion de particratie et évoqué l’expérience belge considérée, selon lui, comme la forme la plus accomplie de la particratie en Europe.
Plantant le décor, l’universitaire commence par définir brièvement le terme «particratie». Ce vocable, a-t-il dit, désigne « un système de gouvernement dans lequel les partis politiques détiennent la plupart ou la totalité des pouvoirs ».
Les faiblesses des partis tunisiens
Traitant des limites visibles des partis politiques tunisiens, voire « des faiblesses qui hypothèquent leur pérennité, et surtout leurs capabilités à gérer la chose publique et à consolider le processus démocratique, il en cite cinq.
La première est un constat : « la défiance attestée durablement par les sondages vis-à-vis des partis, le peu ou pas de crédibilité accordée à l’institution parlementaire, renforcée ces derniers temps par le spectacle tragi-comique donné par nombre de partis, ont terni, d’après lui, la représentation parlementaire, rejetée de plus en plus par nombre de Tunisiens ».
La deuxième consiste en ce qu’il appelle « la formation et l’éclatement d’alliances politiques opportunistes, improvisées (post-élection non programmatiques) et contraires aux engagements électoraux lesquels n’ont pas manqué de heurter les électeurs car elles bafouent ouvertement leur volonté exprimée par le suffrage universel ».
La troisième porte sur la légalité des élus et leur illégitimité. « En effet, note-t-il, les élus peuvent se prévaloir d’une légalité de droit pour revendiquer l’exercice du pouvoir (le respect du verdict populaire). Toutefois, leur légitimité est problématique. Car si la légalité s’établit par rapport au droit, la légitimité, elle, pour l’exercice effectif du pouvoir, s’appuie sur une éthique, c’est-à-dire sur ce qui est moralement acceptable dans une formation sociale donnée ».
Ainsi, la triche, la corruption, la tromperie, le non respect des engagements au nom de la real politique, le dévoiement du suffrage universel sont autant d’éléments qui “illégétiment“, pour une grande part, les partis qui réclament constamment le droit à l’exercice du pouvoir, explique-t-il.
Toujours à propos de la légitimé, il indique que cette dernière « est tributaire de la réalisation (NDLR : obligation des résultats), c’est-à-dire de la capacité réelle et non formelle à gouverner dans l’intérêt national et en réponse effective aux aspirations et demandes populaires ».
La quatrième limite a trait à « cette lutte incessante pour le parage du pouvoir, des postes de commandes (quotas) lors de la formation des gouvernements a été, toujours et à juste titre, perçue par nombre de Tunisiens comme étant l’objectif ultime des partis : l’Etat et les institutions sont ainsi considérés comme étant un butin à s’accaparer ».
La cinquième faiblesse porte sur l’indigence programmatique des partis. Cette indigence, relève-t-il, est du reste une caractéristique.
L’universitaire Azzam Mahjoub énumère d’autres talons d’Achille dont pâtissent les partis politiques tunisiens, entre autres l’“exclusionnisme“ et le “négationnisme“ pratiqués par certains partis.
Ainsi, le Parti destourien libre (PDL), «c’est tout simplement la négation de la révolution et de ses acquis démocratiques dont il jouit pourtant pour exister» ; tandis que pour le parti Al Karama, avec ses références passéistes islamo-conservatrices, « c’est la remise en cause de l’après-indépendance et des acquis modernistes dont ses adhérents en jouissent ».
La particratie tunisienne serait une copie de son homologue belge
Le conférencier devait aborder ensuite l’expérience belge en matière de particratie et le rôle qu’ont joué les partis dans l’enrayage du processus démocratique dans ce pays. « En Belgique, la cohésion particratique s’est renforcée au fil des années et est devenue pratiquement la plus forte de l’Europe ».
Ensuite, il apporte deux indications importantes sur les caractéristiques de la particratie belge et sur ses similitudes avec celle de Tunisie.
Premièrement, « les Assemblées de représentants en Belgique (…) ne sont plus les lieux où les élus du peuple finalisent les attentes des citoyens et contrôlent leur mise en œuvre par les exécutifs, mais plutôt des chambres d’entérinement théâtralisées régies strictement par “la discipline de parti“ ».
Deuxièmement, les décisions importantes sont prises par les chefs de partis, qui sont souvent non soumis au suffrage universel et dont l’impartialité n’est pas garantie. C’est le cas du comportement de Ghannouchi en Tunisie.
Les acteurs qui peuvent combattre la particratie
Au rayon des pistes à explorer pour combattre la particratie et sa contre-productivité, le conférencier considère qu’« il y a urgence pour procéder aux réajustements de la Constitution de 2014, du mode, du niveau, de la nature de la représentation populaire et du mode du scrutin. Il en va de même de la loi sur les partis (garde-fous contre les dérives) ».
Quant aux parties qui doivent mener ce combat, il considère que « la présidence de la République, la société civile et les organisations professionnelles (UGTT et autres) ont un rôle décisif pour permettre de stabiliser notre régime politique et consolider notre démocratie qui devra être centrée sur le citoyen en évitant en même temps les écueils de la particratie mais aussi du présidentialisme démesuré…».
Le message est clair.