Une trentaine d’agriculteurs semenciers ont pris part à la sixième édition de la fête des semences paysannes, qui s’est tenue les 4 et 5 septembre 2021 au Belvédère, à l’initiative de l’Association tunisienne des permaculture (ATP).
Ces agriculteurs, qui utilisent dans leurs semis les semences paysannes prélevées de leurs récoltes, puis préservées selon des techniques traditionnelles en vue d’un semis ultérieur, sont venus échanger avec des pairs, leurs expériences en agriculture naturelle, ainsi que leurs graines précieuses et plusieurs fois centenaires.
En dépit des conditions sanitaires difficiles dues à la pandémie de Covid-19, le public était au rendez-vous de la fête, dont le programme comprenait des ateliers sur le compostage, des conférences ainsi qu’une exposition-vente des semences et des produits de terroirs (Harissa, Bsissa, huile d’olive, figue de barbarie….). Vers la fin du premier jour de cette manifestation ces produits se faisaient déjà rares.
Le consommateur tunisien devient plus conscient des vertus nutritives des produits agricoles naturels et bio, une filière qui vient de gagner sa place sur le marché tunisien, selon la présidente de l’Association tunisienne de permaculture (ATP), Rim Mathlouthi.
Pour elle, le choix du parc du Belvédère en plein cœur de la capitale, pour abriter cette fête, vise à sensibiliser davantage à l’importance de l’utilisation des semences paysannes et à inciter les pouvoirs publics à opter pour des politiques agricoles incitatives, d’autant plus que les agriculteurs font face actuellement, à plusieurs difficultés, dont les changements climatiques, le déficit pluviométrique et la lourdeur administrative, y compris quand il s’agit de demander une subvention ou des primes de remboursement de l’APIA (Agence de promotion des investissements agricoles).
Mathlouthi attire l’attention sur le fait que la plupart de ces agriculteurs présents au Belvédère ne disposent pas de la certification bio, malgré une production naturelle où l’intervention humaine est limitée et le recours aux engrais et aux pesticides est absent. Le coût de certification est élevé pour eux, environ de 1 500 dinars en moyenne, ce qui n’est pas rentable d’autant plus que ces agriculteurs-semencieurs exploitent des petites parcelles d’à peine 5 hectares.
Accablés par les charges
Partageant son avis, Jamel Lassoued, 55 ans, un agriculteur de Médenine, se plaint de la marginalisation du secteur agricole qui risque de disparaître, selon ses dires, notamment avec la réticence des jeunes à exercer ce métier.
Pour sa part, Abdelkarim Sakrafi, qui partage avec Lassoued le même stand et offre notamment du couscous extrait du blé ” Ajili “, une variété remontant à plus de 200 ans, lui aussi s’inquiète quant à la pérennité du secteur, vu l’absence de la vulgarisation agricole, la réticence de la main-d’œuvre et le manque d’incitations de l’Etat.
Même son de cloche chez Tarek Rouis, qui exerce l’agriculture depuis son jeune âge, à Msaken, un petit patelin du Sahel tunisien, où il cultive principalement des céréales (plusieurs variétés), dont les semences datent de plus de 400 ans, selon ses propos. Pour cet quinquagénaire, les agriculteurs semenciers, qui jouent un rôle principal dans la souveraineté alimentaire sont accablés par les charges financières, et n’arrivent pas à couvrir leurs dépenses.
Des débouchés pour les jeunes diplômés
Radhouane et Nadia, membres du projet “Plante ta ferme” (destiné aux jeunes diplômés), relevant de l’ATP, étaient de la fête. Ce jeune couple a acquis un terrain de près de 3 hectares, dans le Cap Bon et l’ont aménagé de manière à avoir une construction écologique, un jardin potager et deux parcelles dédiées à la culture céréalière. “Avant de commencer notre projet, nous avons passé un an en phase d’observation et de planification des différentes composantes de notre projet (électricité, cours d’eau…), pour gagner du temps, raconte le couple. Notre objectif est de consommer ce que nous produisons, et exercer une activité commerciale, en transformant, notre production agricole naturelle, en produits du terroir (Bsissa, tomates séchées..)”, précise-t-il.
Quant à Laaroussi Gharbi, 29 ans, diplômé de l’IHEC spécialité Management, il a choisi de marcher sur les pas de ses parents qui gèrent dans la région de Sidi Jedidi (située entre Hammamet et Zaghouan) un projet agrotouristique, qui consiste à préparer des plats tunisiens à partir d’ingrédients naturels et de terroir et les offrir aux touristes et aux visiteurs. “Dans notre projet, nous concrétisons l’aspect de la gestion locale, à travers l’emploi des habitants de la région, notamment les femmes. Mon adhésion à l’association et au projet plante ta ferme, m’a permis d’avoir un échange avec les autres adhérents et un accès à leurs produits agricoles naturels, pour les besoins de mon projet”.
Selon Amine Slim, chercheur à la Banque nationale de gènes (BNG), présent au Belvédère, la banque joue un rôle important dans la préservation des semences et est ouvert au échanges des semences paysannes avec les agriculteurs d’autant que sa capacité de stockage s’élève à 200 mille accessions.
Chaque année la BNG mène une mission de prospection et de collecte auprès de ces agriculteurs, laquelle mission est axée sur une zone géographique ou des variétés, pour les récupérer ensuite sous forme de gènes. Après la mission de collecte, les informations relatives à chaque variété (coordonnées GPS, un identifiant) est enregistrée. La variété est classée parmi les semences de la banque, et préservée selon des normes internationales.