Au moment où partout dans le monde les médias interpellent les experts pour mieux comprendre les catastrophes naturelles que connaissent, par l’effet du réchauffement climatique, plusieurs régions du monde, les journalistes, écologistes et autres experts en environnement tunisiens donnent l’impression qu’eux et la Tunisie ne sont pas concernés par le phénomène. Pourtant, certains éclairages et autres explications auraient pu aider les Tunisiens à prendre conscience de ces aléas naturels et de s’y préparer.

D’ailleurs, tous les rapports des think tanks et experts internationaux et nationaux concordent sur un point: « la Tunisie est sérieusement exposée aux risques des changements climatiques ».

Abou SARRA

Au commencement, rappelons succinctement les récentes intempéries soudaines et particulièrement meurtrières dans plusieurs régions du globe.

En Chine, la ville de Zhengzhou, à 700 kilomètres au sud de Pékin, a connu, ces derniers jours, des inondations « extrêmement graves », de l’aveu même du président chinois, Xi Jinping, dont le pays est pourtant régulièrement sujet à des aléas climatiques lors de la période estivale. La ville a enregistré, en trois jours, l’équivalent de près d’une année de précipitation. Les inondations ont englouti un métro, fait 25 morts et provoqué l’évacuation de 250 000 personnes.

Aux Etats-Unis d’Amérique, la ville de Portland située au nord-ouest du pays, les températures ont atteint, fin juin 2021, un record de 46 degrés. En temps normal, les températures estivales dans cette région du pays sont de 25 degrés. C’est ce que les scientifiques ont appelé “dôme de chaleur“, un phénomène lié à un anticyclone de blocage, vaste et très puissant, qui persiste à un même endroit, provoquant la stagnation des masses d’air. Cette canicule, qui a duré plusieurs jours, a entraîné la mort de centaines de personnes aux Etats-Unis et au Canada.

En Europe, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, en dépit de la qualité de leurs infrastructures, ont été touchés par des inondations meurtrières : 200 morts au total dont 169 morts en Allemagne, et 31 en Belgique.

Pour la chancelière Angela Merkel qui a fait le déplacement dans la ville la plus touchée d’Allemagne, «ce sont des inondations qui dépassent l’imagination, quand on voit leurs effets sur place». 

La Tunisie est sérieusement menacée

Bien que s’inscrivant volontairement sur la voie d’un développement à faible intensité carbone (0,007%) et résilient aux changements climatiques, la Tunisie est concernée malgré elle par le réchauffement climatique.

Les experts internationaux et nationaux sont unanimes : la Tunisie, petit pays méditerranéen aux 1 300 km de côtes, est sérieusement exposée aux impacts du dérèglement climatique, pour peu que les températures augmentent de 1,1 °C d’ici 2030, lit-on dans la littérature des écologistes.

Plus simplement, si rien n’est fait d’ici là, le climat qui prévaut actuellement à Gabès (sud de la Tunis) sera le même qu’à Tunis (nord-est du pays).

L’Institut Jacques Delors, think tank français spécialisé dans la production d’analyses et de propositions géostratégiques multidisciplinaires, estime, dans ses études sur la Tunisie, que notre pays « sera fortement impacté par le réchauffement climatique. Le changement climatique sera perceptible à travers la montée des eaux de la mer et l’épuisement des nappes phréatiques. Il risque d’impacter fortement deux activités vitales pour la Tunisie : la pêche et le tourisme », note l’Institut.

Mais l’experte tunisienne en gestion des ressources en eaux, Raoudha Gafrej, ajoute que « c’est l’agriculture, secteur stratégique en Tunisie, qui payera la facture la plus chère si rien n’est fait pour s’adapter au changement climatique et atténuer son impact à travers des actions à court, moyen et long termes ».

Concrètement, si rien n’est fait, les impacts globaux du réchauffement climatique seront perceptibles à travers une baisse de 28% des ressources en eaux en 2030, une diminution de 50% des eaux de surface, une diminution du PIB agricole de 22,5%, une réduction de la production agricole de 52%, en raison de l’intensité et de la succession des années de sécheresse.

D’après elle, les incidences du changement climatique se feront sentir à travers l’augmentation de la salinité des sols, la surexploitation des terres et des pâturages, la baisse de la fertilité des terres, ce qui engendrerait des risques sur les exportations et mènerait à un “forçage économique sur l’agriculture ».

Des remèdes tunisiens pour atténuer l’impact du réchauffement

Au rayon des recommandations, experts internationaux et nationaux proposent la migration, en urgence, vers les énergies vertes, l’option pour l’efficacité énergétique, la réutilisation des eaux usées, l’investissement dans des bus électriques, la rationalisation des eaux d’irrigation et la recharge des nappes souterraines.

Il s’agit aussi, pour Raoudha Gafrej, de transformer les stratégies d’adaptation basées sur la gestion de la crise à court terme en d’autres stratégies de moyen terme, d’encourager les agriculteurs à préserver les écosystèmes, de réviser la tarification de l’eau pour mieux gérer les ressources et d’adapter la carte agricole à la réalité des changements climatiques.

D’après l’experte en ressources en eau, il importe aussi de prévoir la reconversion des terres agricoles, de moderniser les pratiques agricoles et d’intégrer les changements climatiques dans toutes les stratégies sectorielles de développement.

Plus pragmatique, la société civile, par le biais du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), suggère d’autres alternatives. Parmi celles-ci figurent la séparation des eaux industrielles des eaux usées et leur réutilisation une fois épurées, respectivement dans l’industrie et l’agriculture, la valorisation des déchets des phosphates dans la production du ciment et leur utilisation dans le réaménagement des barrages.

Autre proposition, celle qui consisterait l’utilisation des eaux ménagères usées dans le lavage du phosphate, le but étant de préserver les eaux de ruissellement et de leur utilisation dans l’alimentation en eau potable et dans l’irrigation.

Toutefois et nonobstant toutes ces propositions, nous pensons que l’enjeu réside dans la volonté politique de passer à l’action, de mettre en place des politiques « anti-réchauffement climatique » viables et de profiter, à cette fin de la disponibilité de fonds multilatéraux dédiés à cette cause.