Le président Kaïs Saïed a, une fois encore, fait preuve d’une habileté tacticienne aussi redoutable que confirmée. Après une longue attente, il a fini par charger Najla Bouden Romdhane à former le gouvernement. Cette nomination – désirée – d’une candidate surprise a fait tilt, et l’opinion a applaudi.
Après avoir gagné du temps, Kaïs Saïed peut-il gagner la partie ?
Le président Kaïs Saied a fini, enfin, par désigner une locataire à La Kasbah. Et ça a fait mouche. C’est la deuxième fois qu’il gagne un pari. Il garde la main en réactivant un large appui populaire. Il fait de la Vox Populi* son visa de légitimité. Le soutien de la majorité silencieuse est, après tout, une forme de plébiscite. Et certainement un visa qui permet au président de légitimer son pouvoir. A la mode américaine, qui use d’un standard binomial pour l’affiche électorale, Kaïs et Najla font Ticket, ensemble. Désormais, l’exécutif possède deux faces. Sera-t-il à deux têtes ?
Le bon usage du légitimisme sourit, jusque-là, au président
On a tous en mémoire le coup d’éclat de Kaïs Saïed, le 25 juillet 2021, de geler l’ARP en vue de remettre le pays en marche. Ce geste lui a garanti un ralliement populaire, franc, net et massif. Le président surfait sur une volonté populaire qu’il a fini par concrétiser. Et il a bien monnayé son initiative récoltant un large sentiment de gratitude populaire. Et un crédit de bon flair politique.
Son coup de panache par le choix de Najla Bouden Romdhane, ce mercredi 29 septembre, lui fait conquérir le cœur des gens. Avoir de son côté l’appui des masses, ça se calcule ! La désignation d’une femme à la tête du gouvernement est un exploit peu commun, et surtout s’agissant de la Tunisie. Ça ne manque pas de genre ! Outre que, dans l’inconscient collectif et en établissant un parallèle avec ce fameux jeu de société, “mener un pion à dame“ du premier coup est une preuve d’adresse.
Tout de suite, le bon peuple, charmé et conquis, a fait la liaison avec Angela Merkel. Par conséquent, Najla Bouden Romdhane est assurée de disposer d’“un état de grâce“. Et c’est d’un confort précieux par ces circonstances difficiles, car elle doit aller au charbon. Cependant, l’on s’interroge sur la suite. L’on attend d’être fixé quant à la mission de la nouvelle élue. Sera-t-elle “Premier ministre“ ou “Cheffe du gouvernement“ ? Il ne s’agit pas de finasser, mais il est bien utile de savoir si elle est là pour décider ou simplement exécuter.
A ce moment précis, où pour elle commence la bataille, il lui appartient de choisir son genre. Sera-t-elle l’atout de charme et la bonne fée du président ou la “Dame de fer“ au service de la refondation de l’Etat. Angela ou Maggie*. Croyez-le bien, c’est important pour la suite.
Juste casting et erreur de timing ?
En bon physionomiste, Kaïs Saïed a su profiler la personnalité qui semble enchanter les Tunisiens. Nous prenons le pari qu’elle saura conquérir, avec le même tact, la sympathie de nos partenaires internationaux. Cependant, nous relevons que KS a raté une bonne opportunité afin de bien scénariser l’entrée en fonction de NBR.
Convenons que cette nomination aurait été d’un meilleur effet si elle était intervenue, une semaine plus tôt. Si le président l’avait fait coïncider avec la tenue périodique de l’AG des Nations unies, NBR aurait pu apparaître à cette tribune prestigieuse à l’audience planétaire. Toutefois, à coup sûr, pareille entrée en scène aurait été plus valorisante pour elle et c’eût été une occasion en or pour plaider la cause de la Tunisie. Ça aurait été d’un meilleur éclat que le seul ministre des Affaires étrangères s’employant dans un discours convenu à disculper Kaïs Saïed de toute tentation putschiste.
Cette perspective n’a pas pu échapper à l’attention du président. A-t-il redouté que d’entrée de jeu NBR lui fasse de l’ombre ? Entend-il rester seul maître du jeu ? Mystère ! Cette situation nourrit quelques craintes sur les desseins du président. Se servirait-il de NBR comme d’un paravent ou d’un “couvre-chef“ (au féminin) pour “maturer“ son dessein de réengineering du système politique ? Ou, veut-il en faire une personnalité de poids pour enclencher la dynamique de transformation en profondeur de la société tunisienne ?
Cela se verra dans la nature de la mission qu’il lui confiera, en définitive. Pour l’instant il souhaite qu’elle soit son fer de lance, dans la lutte contre la corruption. Mais c’est là, nous le pensons, un simple propos de circonstance.
Après la désignation, quelle sera sa mission ?
Sismographe, NBR se trouve assise sur un volcan lequel peut entrer en éruption, à tout moment. Mais elle disposera d’une parenthèse de grâce. L’ennui est que cela coïncide, caprice du calendrier, avec le 4ème trimestre de l’année, c’est-à-dire le quart des turbulences. Il y a le ballet budgétaire et tout ce qui s’ensuit. Mais l’épreuve pour NBR sera encore plus rude car la situation du pays est exceptionnellement complexe et compliquée.
Sans doute qu’elle possède les aptitudes au job et l’ascendant académique requis. Cependant, il lui faut montrer qu’elle a suffisamment de poigne pour tenir une équipe et l’allant nécessaire pour transformer la société.
Elle a, dans une adresse timide sur Twitter, évoqué la formation d’un cabinet homogène. On voudrait lui souffler que le peuple attend que ce gouvernement soit compact sur le mode Task force car celui-ci, tout en étant en état de grâce, n’aura pas un seul instant de répit. Et c’est ce qu’elle doit faire admettre au président et cela relève de sa seule responsabilité. C’est elle et elle seule qui pourra configurer les contours de sa mission et il lui faudra user de persuasion.
Elle doit se donner les coudées franches car elle joue son avenir et celui du pays. L’Etat est en risque d’effondrement, ce qui ne lui laisse pour seule issue que la perspective d’une refondation en profondeur. Ce sera pour elle la mère des batailles, et elle doit prouver à l’opinion qu’elle sait se donner les moyens de la gagner en négociant la liberté de délimiter son terrain de compétences. C’est une guerre de charisme pour elle et on aimerait lui rappeler que cela se passe en public sous l’œil vigilant, et momentanément bienveillant du bon peuple.
Ali Abdessalam