J’ai connu professionnellement Najla entre 2007 et 2013 lorsqu’elle était, entre autres, responsable de la cellule projet du ministère de l’Enseignement supérieur et que je dirigeais le département de l’éducation pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord à la Banque mondiale. Je n’étais pas son vis-à-vis direct mais j’ai eu de longues réunions avec elle sur la performance des projets financés par la BM et sur l’enseignement supérieur en général, à l’occasion de mes visites régulières dans la région.
Au vu de la curiosité légitime pour une personne que peu parmi le public connait, je partage avec vous quelques informations et impressions.
1- Très vite Najla nous est apparue (à mon équipe et à moi) comme une personne intelligente, dynamique et très ambitieuse. Venant du monde académique, elle a montré une capacité d’écoute et d’apprentissage qui a fait d’elle, très rapidement, une personne capable de concevoir et de gérer des programmes complexes et d’acquérir l’adhésion d’équipes disparates d’universitaires et d’administratifs.
Sa compétence dans ces domaines ainsi que sa capacité personnelle à forcer le respect de ceux qui ne lui sont pas nécessairement acquis (l’administration, traditionnellement suspicieuse des universitaires parachutés en son sein) est indiscutable.
2- Dans l’international saura-t-elle tenir son rang ? Najla s’exprime bien et a une certaine aura personnelle, ainsi que la touche de diplomatie nécessaire pour naviguer entre les conversations difficiles. Ayant remarqué cela, à un certain moment j’ai pensé à la recruter dans mon équipe à la Banque mondiale. Mais elle n’avait pas montré d’intérêt. Ceci étant, je me rappelle que mes équipes à l’époque l’ont faite intervenir comme consultante dans d’autres pays de la région. Tout ce dont je me rappelle est qu’il s’agissait d’aider d’autres pays à développer un manuel de procédures pour une déconcentration des fonds que l’Etat alloue à l’appui de la qualité des enseignements universitaires, partant du constat que celui que la Tunisie a développé était de très bonne facture, sous l’impulsion de Najla, mais aussi de juristes fin connaisseurs des méandres de notre administration, comme Abdallah Riahi, pour n’en citer qu’un.
3- Saura-t-elle tirer son épingle du jeu dans la lutte politique à venir et que je suspecte sera sans pitié ? Tout ce que je peux dire à ce sujet est que Najla ne manque pas de sens politique, ne serait-ce que pour avoir survécu à un nombre incalculable de ministres et de soubresauts politiques depuis 15 ans, réussissant chaque fois à capter l’attention des nouveaux venus.
4- Les projets de la Banque mondiale que Najla a gérés ont-ils réussi ? Malheureusement non. Le programme n’a pas atteint ses objectifs de développement, ni après la période initiale de 5 ans ni après l’extension de 2 ans (si mes souvenirs sont justes) qui lui a été accordée, a été mal noté, et une partie importante des ressources sont restés inutilisés à la clôture du projet. Malgré cela, connaissant bien la rigidité de l’administration et la frilosité politique de l’époque, j’hésite à lui attribuer une grande part de responsabilité. Najla aurait certainement pu pousser plus fort, mais probablement au risque d’être priée de retourner à son université, ce qui n’était pas dans ses plans.
D’autre part, il faut rappeler que les financements de la Banque mondiale sont essentiellement un support pour des réformes institutionnelles et de gouvernance profondes qui sont extrêmement difficiles à mener dans l’état de dilution des pouvoirs et de paralysie politique dans lequel nous nous sommes graduellement enfoncés depuis deux décennies.
Dans ce cas précis, le programme de la Banque mondiale avait pour objectif d’impulser l’autonomie des institutions universitaires et de promouvoir une gestion de la qualité par une instance académique nationale et indépendante du ministère. 15 ans après, nous sommes encore très loin de ces ambitions initiales.
Pour conclure, je dirais que Najla est certainement un très bon choix apolitique, mais il ne faut pas espérer des miracles, comme le suggère le point 4 ci-dessus. Aucune femme ou homme ne pourra nager seul contre le courant d’un système qui est devenu paralysé et vicié à la base. Il faudra bien plus que cela.
Sur quoi la jugera-t-on alors ? On juge un gouvernement sur l’ambition de son programme et dans quelle mesure il arrive à le réaliser. Il faut donc, d’abord, lui laisser du temps pour élaborer un programme. Ensuite, nous devons éclaircir un certain nombre de questions pour savoir quelle sera sa marge de manœuvre vis-à-vis de KS.
Savons-nous, par exemple, combien de temps elle et son équipe auront pour exécuter leur programme une fois que KS l’aura approuvé ? Savons-nous si elle pourra compter sur le soutien de KS lorsque l’UGTT demandera stupidement des augmentations de salaires, lorsque les partis politiques la prendront pour cible ou, lorsque passée l’euphorie, le peuple commencera à râler ? Savons-nous si la communauté internationale, qui se méfie de KS à juste titre, aura une attitude différente à son encontre et lui accordera un soutien tant nécessaire ?
En tous les cas, souhaitons bon vent et aidons ce pays qui n’a besoin ni d’un homme ni d’une femme providentiels, mais de l’effort, de la compréhension et de la solidarité de tous.
Mourad Ezzine