Que sera la distribution des rôles entre les deux têtes de l’Exécutif ? Là est la clé de voûte qui dessinera le meccano politique à mettre en place.
Un système politique se construit par le haut ! Loi de la nature ou vérité de la palisse ? C’est en tout cas l’enseignement de l’expérience récente de la transition tunisienne. Le pays vivrait donc un instant engageant pour l’avenir. Et le suspense est d’échelle nationale. De la nature du rapport de la locataire de La Kasbah au président de la République se dessinera la physionomie du nouveau régime politique. La curiosité nous pousse à explorer le scénario qui est en train de se mettre en place.
Régime présidentiel ou présidentialiste ?
Le 25 juillet 2021, l’on s’attendait à vivre un switch, rapide, vers un nouveau régime. Cependant, les séquences tardent à se mettre en place alors qu’une partie de l’opinion s’impatientait. Alors on nous a promis un big bang qui appelait un temps de maturation.
Bien faire les choses est une bonne précaution mais il convient également d’avoir le souci du chrono. Rectifier une fois pour toutes et pour de bon le parcours de la transition démocratique est un chantier désiré de tous.
Le bon peuple croit dur comme fer que la transition a été déviée de sa trajectoire naturelle. Par on ne sait quel subterfuge on a été embourbés dans un régime hybride où le bon peuple, impuissant, se voyait dépossédé de sa souveraineté car ne pouvant peser sur les événements.
Cette situation a créé un réel engouement en faveur d’un régime présidentiel. L’inconvénient est que les prémices perceptibles du Meccano que préparerait le président prédisent un régime présidentialiste. La désignation d’une locataire à La Kasbah est un premier signe que la suite va arriver. Cependant, la nomination de Najla Bouden Romdhane ne pourrait faire diversion. Désigner une personnalité à la tête du gouvernement est un premier pas. Mais la détermination des responsabilités entre les deux têtes de l’exécutif, seules instances de pouvoir en l’absence d’un Parlement, nous renseignera sur la véritable nature du régime à venir.
En ces temps où la communication officielle est sobre, nos spéculations nous servent à échafauder un hypothétique scénario futur.
“Jamais deux sans trois“
Loin de nous l’idée de porter la poisse à KS et à NBR, mais on peut se demander si le troisième gouvernement de Kaïs Saïed échappera au mauvais sort que prédit la morale populaire. Les deux précédents gouvernements ont fini dans la mélasse.
En appelant à la barre une néophyte en politique, bien que chevronnée en prospective, ouvre une parenthèse pour le moins aléatoire. En désignant NBR, le président fait un banco audacieux. Comme toujours, il a fait confiance à son seul flair politique, pensons-nous. Et sans exposé de motif pour justifier son choix aux yeux de l’opinion.
Elle a pour elle son crédit éthique mais souffre d’une carence politique. Habilement, le président a enrobé sa décision d’une bonne symbolique de genre, mais cette précaution serait-elle un bouclier à toutes épreuves ?
NBR, à son tour, a pris le risque d’entamer une carrière politique en se prévalant d’une solide expérience professionnelle mais d’une pratique à distance de la politique. Et, ironie du sort, elle arrive – chance ou malchance ? – dans une conjoncture difficile. Elle aura à faire montre de poigne pour diriger son monde, et de suffisamment de résolution pour se démarquer du président et pouvoir dire “JE“ à celui qui lui a ouvert la voie. Ils vont devoir jouer en “une-deux“ en ajustant leur pas de deux. Cela ne se fait pas sans frictions.
Laurent Fabius, nommé Premier ministre par le seul caprice du président François Mitterrand, avait refusé de recevoir, comme l’a fait Mitterrand, le général Jaruzelski, le dictateur polonais. On garde le tableau d’un Premier ministre novice qui faisait prévaloir ses convictions personnelles sur la raison d’Etat. Et face à la presse, Laurent Fabius, sûr de sa bonne cause, n’avait pas hésité à se démarquer de son Boss et bienfaiteur en affirmant : « Lui, c’est lui et moi, c’est moi ».
Dans ce tandem de tête, il faut commencer par savoir qui propose et qui dispose. Est-ce qu’on sera dans la configuration idéale « He regns, She governs » ?
Wate and see.
Les jeux sont-ils faits d’avance ?
A priori, chef du gouvernement ou Première ministre, NBR a été quelque peu doublée par KS. Outre les ministères de souveraineté, qui lui reviennent de droit, KS s’est empressé de nommer quelques ministres intérimaires et on ne voit pas comment il pourrait les remercier.
Arithmétiquement, il reste à NBR, les “ministères d’intendance“ pour parler le jargon du Général de Gaulle. De surcroît, pour montrer son autorité, KS lui a soufflé par-dessus l’épaule de s’employer à la lutte contre la corruption. On attend de voir son discours de politique générale, rituel démocratique imprescriptible pour voir si elle impose, en échange, un programme de gouvernement qui lui est propre. Ce sera le test de vérité pour elle.
Le plus gros pour NBR est de faire revenir la confiance sur la base de la consistance de sa méthode et de l’ampleur de la dynamique réformatrice pour laquelle elle s’engagerait. Ses effets d’annonce lui baliseront la voie. C’est sur cette base que se détermineront les partenaires sociaux dans leur rapport avec le gouvernement. S’ils sont convaincus de la justesse des choix énoncés, leur adhésion paraîtra acquise.
D’un certain point de vue, NBR joue gros. Et, dans le même temps, elle a la partie facile. En fin de parcours, Carthage et La Kasbah seront, aux yeux de l’opinion, solidaires du bilan à venir.
Dans l’hypothèse où NBR gagne, c’est KS qui empochera le jackpot. Dans l’hypothèse contraire, la seule façon pour lui d’échapper à la colère populaire serait qu’elle soit seule à endosser sa contreperformance.
Comment pourrait-il s’en prévaloir autrement qu’en lui laissant les coudées franches ? Nous prenons le pari que NBR, selon nos prévisions, sera la prochaine “cheffe du gouvernement“.
Ali Abdesslam