Le Conseil d’administration de la BCT a édité un communiqué explosif sur l’économie tunisienne et l’état de nos finances publiques. Comment riposter autrement que par des réformes. A initier en toute hâte, ou alors on nous fera marcher au P.A.S.* La souveraineté nationale est en jeu.

Rarement le Comité des Sages – entendez les membres du Conseil d’administration de la BCT – aura emprunté un ton aussi alarmiste. Leur communiqué du mercredi 6 courant est d’un style incendiaire. Ils viennent confirmer ce qu’on savait déjà : le pays est dans l’impasse. Que faire en ce cas ? “Brûler nos vaisseaux “. Car nous avons gaspillé toutes nos munitions. La BCT indique une voie qui pourrait être passante. Elle en omet cependant une autre qui pourrait être payante, tout en étant problématique.

Le système résiste mais ne tiendrait pas encore longtemps

Le communiqué du Conseil est rendu public et il est téléchargeable sur le site de la BCT. Il est rédigé en des termes mesurés, mais véhicule un message d’alerte. En façade, nos réserves de change sont à 20,962 milliards de dinars ou 127 jours d’importation. Et l’inflation est sous contrôle. L’ennui est que c’est une protection fragile si le pays ne trouve pas des ressources supplémentaires pour boucler un budget 2021 resté béant. La fiscalité locale ne peut y pourvoir pour l’instant, par conséquent, un apport extérieur est nécessaire.

Comment faire sachant que le marché extérieur nous est difficilement accessible. Les agences de notation nous ont savonné la planche en nous affligeant d’un score spéculatif assorti d’une perspective négative.

Comprenez par là que nos affaires sont mauvaises et que notre climat d’affaires va se dégrader.

La BCT a fermé les vannes monétaires car elle aussi nous a savonné la planche… à billets, cette fois. L’Etat a usé de ce recours au maximum. Les deux dernières tombées de crédits extérieurs (juillet et août derniers) ont été financées par deux émissions du trésor souscrites par le système bancaire et refinancées instantanément par la BCT.

Le recours de monétisation nous est fermé sinon l’inflation explosera. L’actuel gouverneur en arrivant à la BCT en mars 2018 avait fait de la lutte contre l’inflation son cheval de bataille. Et il s’est attelé à parvenir à ancrer les anticipations d’inflation chez les opérateurs économiques. Il s’emploie en usant du taux directeur qu’il maintient élevé pour demeurer en “zone de taux d’intérêt réel positif“.

Et comme dans le mythe de Sisyphe, à peine parvient-il à juguler l’inflation que la voilà qui reflambe. A coup sûr, si forcé et contraint, il re-titille la planche à billets il se déjugerait. Sans compter que sa stratégie volerait en éclats. Jamais gouverneur ne s’est retrouvé dans la peau du “Chancellor of Exchequer“** avec menace, étreignante, d’échec au roi.

La voie passante recommandée par le Conseil de la BCT

Le Conseil de la BCT se rend à l’évidence et plaide pour un financement extérieur en bilatéral. En pratique, c’est l’issue à explorer. Ce serait la seule voie passante avant le scénario frisson du défaut. Dieu nous en préserve.

Cependant, nos amis, nombreux, demeurent silencieux à ce jour. Peut-être se manifesteront-ils au vu de cet appel.

L’Amérique voyant notre situation n’a même pas envisagé, du moins en public, de remettre le couvert et de nous créditer de sa contre-garantie.

L’UE semble faire la sourde oreille. Les pays européens pris un par un n’abondent pas dans cette direction car n’ont pas encore abordé le sujet.

Notre diplomatie est-elle réactive au point de nous dépanner ? L’on ne sait trop. Les pays du Golfe nous procureraient-ils l’appoint, en cette circonstance difficile ? En cette situation, il faut frapper à toutes les portes.

La BCT ferait-elle “Full Monty’“*** ?

Ceci est un exercice de fiction pure, mais en l’état des choses, les solutions extrêmes peuvent être envisagées. La loi de l’urgence économique pourrait être implémentée de sorte à activer la libération du compte capital. La BCT pourrait, au vu des difficultés du moment, reconfigurer le Code du change et aller directement vers l’amnistie de change, de son propre chef. Ce serait une action de bravade vis-à-vis de tous mais ce serait salutaire. A n’en pas douter que l’effet en retour regarnirait nos réserves de change et cela nous tirerait d’affaires. Et nous considérons que c’est une voie payante.

La BCT frondeuse ? Cela ne lui ressemble pas et n’est pas dans sa culture. Sinon comment interpréter notre sortie du franc CFA en 1958 ? C’était là encore un Baroud pour l’honneur et la souveraineté.

A bien représenter, la situation la BCT a, d’une certaine façon, volé la vedette au président de la République. La priorité des priorités pour le nouveau gouvernement n’est pas la lutte contre l’inflation mais le renflouement de nos réserves de change. Et pourquoi s’arrêter au milieu du gué ? La solution ne peut venir que d’une amnistie de change, fût-elle forcée et soudaine. A bien regarder le terrain, ce serait la seule planche de salut à notre portée. Et la plus commode, car elle agrégerait les deux secteurs de l’économie. Elle ferait du bien au secteur organisé et blanchirait, une fois pour toutes, l’informel. Cependant, connaissant la coloration politique des “Informelistes“, ces derniers accepteront-ils de sauver la mise à celui qui a mis leurs protecteurs hors-jeu ? Problématique ! On ne voudrait pas porter la poisse au pays, car à défaut de ce coup de force de la BCT, il restera toujours le APS. Je me refuse de l’écrire à l’endroit car je veux conjurer cette solution.

Ali Abdessalam

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*P.A.S. : Abréviation de Plan d’Ajustement Structurel.

**Chancellor of Exchequer ! Ministre des Finances, expression utilisée dans le texte au sens de “gardien du Temple“.

***Full Monty : sortir le “Grand Jeu“.