Dans une nouvelle analyse publiée jeudi 7 octobre 2021, l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE) appelle à auditer et évaluer l’impact des engagements précédents avec le FMI avant de s’engager dans un nouveau programme.
L’analyse évaluant l’impact de la dévaluation du dinar tunisien imposée par le FMI et entamée depuis 2016 sur les réserves en devises, le déficit commercial, le service de la dette, l’inflation ainsi que sur les entreprises publiques, souligne que les conditionnalités économiques des programmes conclus avec le FMI n’ont mené qu’à la dégradation de la situation socioéconomique qui devient insoutenable en Tunisie.
L’Observatoire affirme que le changement de régime de change en Tunisie a été imposé par le FMI comme une mesure structurelle dans sa première lettre d’intention en mai 2013, avec l’abandon de la fixation du taux de change via un panier de devises en faveur d’un taux de change flexible.
Impact de la dévaluation du dinar sur les échanges extérieurs
L’OTE souligne qu’à partir de 2016, la Tunisie a vu sa dette publique enregistrer une augmentation de plus en plus forte. La raison la plus importante de l’augmentation du taux d’endettement reste le glissement du dinar par rapport aux principales devises composant le portefeuille de la dette extérieure, à savoir l’euro et le dollar, dont l’impact a engendré une hausse de l’encours de la dette au cours des années 2016, 2017 et 2018, d’un montant s’élevant à 1,8698 milliard de dinars, alors que cet effet n’a pas dépassé 2,734 milliards de dinars au cours des trois années précédentes (2013, 2014 et 2015).
Par voie de conséquence, le taux d’endettement a augmenté pour atteindre 77,08% du PIB fin 2018 contre 46,56% fin 2013, soit une augmentation globale dépassant les 30,5% du PIB, dont 18,84% résulte de “l’effet-change” observé au cours des trois dernières années.
La dévaluation du dinar a également eu un impact important sur l’inflation depuis avril 2016, indique encore l’Observatoire. L’inflation a augmenté principalement avec la libéralisation du dinar en avril 2016, puis s’est accélérée après le décrochage du dinar en mars 2017.
La libéralisation du dinar et la chute de sa valeur expliquent l’inflation, qui a pour conséquence l’augmentation des prix des biens importés. En réalité, l’inflation n’a jamais été aussi grande que depuis que le FMI a imposé à la BCT de se focaliser uniquement sur la lutte contre l’inflation, atteignant un record historique en 2018 de 7,3%.
Idem pour le déficit commercial. En effet, rappelle l’Observatoire, l’évolution des échanges commerciaux du fait de la variation du dinar à la baisse (effet change) a impacté négativement le déficit commercial de l’ordre de 1,1 milliard de dinars en 2016 et de 1,8 milliard de dinars uniquement en 2017, avec une amélioration en 2018 avec la valeur de 163,1 millions due à l’importante diminution des importations.
Cela veut dire que l’effet négatif de l’augmentation de la valeur des importations due à la baisse du dinar surpasse l’effet positif de l’augmentation de la valeur des exportations due à cette baisse.
Par ailleurs, l’Observatoire estime que la libéralisation du dinar, qui a affecté négativement le déficit commercial et provoqué la détérioration du solde général de la balance des paiements à partir de 2016 (-1 143 milliard de dinars en 2016 contre +783 millions de dinars en 2015) a également induit une forte baisse des avoirs nets en devises.
Impact de la dévaluation du dinar sur les entreprises publiques
L’OTE considère que la dévaluation du dinar a largement contribué à la situation financière actuelle des principales entreprises publiques sur lesquelles le FMI impose des réformes profondes avec leur éventuelle privatisation et exerce une grande pression sur le gouvernement en contrepartie de son appui budgétaire, qui est loin de couvrir les pertes enregistrées.
L’Observatoire indique que les coûts de la dévaluation du dinar promue par le FMI dépassent largement les déboursements annuels bruts du FMI sur la même période. Au total, la somme accordée par le FMI à la Tunisie de 2016 à 2018 ne couvre même pas les coûts d’une seule réforme, en l’occurrence la dévaluation du dinar.
Le coût de la dévaluation du dinar sur les entreprises publiques ciblées par le FMI représente l’équivalent du total des déboursements annuels bruts du FMI. Quant au coût total de la dévaluation du dinar sur les échanges commerciaux extérieurs de la Tunisie sur la même période, ils représentent plus de 6 fois le total des déboursements annuels bruts du FMI.
En un mot, ces déboursements annuels ne couvrent pas l’impact de l’évolution du taux de change sur l’encours de la dette qui est estimé à 1,8698 milliard de dinars entre 2016 et 2018 contre les 3,509 milliards de dinars accordés par le FMI sur la même période, soit plus de 5 fois cette somme accordée.
Il considère ainsi que les conditionnalités économiques des institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale) reproduisent indéfiniment la dépendance de la Tunisie aux marchés internationaux en imposant des conditions qui visent à intégrer davantage la Tunisie dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, attirer les investisseurs étrangers, exploiter l’avantage comparatif de la Tunisie, mais qui, en réalité, influencent directement les modèles de développement du pays.
Ces financements sont une des causes qui a conduit à la perte de marge de manœuvre de la Tunisie dans les choix de développement conduisant par conséquent à la perte de sa souveraineté sur ces choix économiques.
Ainsi, il serait plus cohérent pour la Tunisie d’évaluer les effets des conditionnalités des prêts accordés par le FMI et la BM avant d’entrer en négociation avec le FMI. Cela permettrait également de renforcer le pouvoir de négociation du pays avec ces institutions, conclut l’Observatoire.