«J’en suis à ma 261ème interview. J’ai l’impression que je me répète et ça m’ennuie ». Pourtant, à écouter Zied Guiga parler de Wallys, de l’idée, du parcours et de l’aboutissement, on aurait dit qu’il en parle pour la première fois. Cet homme, qui a plongé à l’âge de 24 ans appuyé par son frère et son partenaire Omar dans la construction automobile alors que sa formation initiale était le management hôtelier, possède deux grandes qualités : le sens du vrai, de l’authentique et le génie de l’invention.
« La vocation, c’est le bonheur d’avoir pour métier sa passion », disait Stendhal.
Nul doute que Wallys est la grande passion de Zied Guiga. Entretien.
WMC : Comment fabriquer une voiture lorsqu’on est profane en matière de construction automobile ?
Zied Guiga : Nous avons fabriqué la première Wallys dans un petit garage. René Bosch, notre ami constructeur automobile, nous a aidés à entrer en contact avec la maison Peugeot en France. Il nous fallait l’appui d’un grand constructeur pour être crédible. Nous avons commencé à négocier avec Peugeot avec laquelle les négociations étaient difficiles, ce qui nous a poussés à contacter la maison Ford qui n’exigeait pas de contrat.
Lorsque les décideurs de PSA ont vu que nous étions résolus à construire notre propre voiture, quitte à le faire avec un autre constructeur, ils ont compris que nous étions motivés, en ce moment ils ont accepté de nous parrainer. Notre force de frappe n’était pas l’argent mais la détermination. Nous avons démarré la construction de la première Wallys dans un garage de 500 m2 avec 80 mille dinars que nous avons investis dans le produit, le prototypage. Il fallait faire les dessins et préparer les 3D et élaborer la première version de Wallys.
Nous étions 6 personnes dont deux ingénieurs. L’équipe de PSA nous a rendu visite et a réalisé de visu notre sérieux. Du coup, ils ont accepté d’être notre “motoriste“ en nous donnant la technologie du moteur. Nous avons fait le reste, depuis la carrosserie jusqu’aux sièges en passant par le châssis, l’intérieur et le câblage.
Vous n’avez pas rencontré de difficultés ?
Nous avons fait beaucoup d’erreurs pour fabriquer un câblage qui fonctionne alors qu’en Tunisie il y a une industrie de câblage. Mais comme nous étions des amateurs, nous ne nous sommes pas adressés à un câbleur. Nous ne savions même pas comment rédiger un cahier des charges. Nous faisions comme les Chinois : nous examinions le câblage de Peugeot et nous le calquions. C’est ce qu’on appelle du revers-engineering, c’est-à-dire prendre le bout et revenir en arrière pour voir comment c’est fait. Reprendre ce qui existe déjà, repartir en arrière et tester, cela faisait amateur mais ça nous a permis de comprendre le processus et de maîtriser le terrain.
Quand est-ce que vous avez sorti le premier prototype ?
Notre premier prototype était enfin prêt en 2007 après 3 ans de travail et d’essais. L’équipe avait peur de le présenter au public, mais je me suis dit que la meilleure étude de marché au monde est de l’exposer dans un Salon. Il s’agissait d’un nouveau produit à mettre sur le marché, donc il fallait attirer l’attention des professionnels et des visiteurs et tester leurs réactions. Nous sommes rentrés du Salon de l’automobile à Paris avec 500 commandes. Quand j’étais parti en France, je me suis dit « si le produit n’est pas apprécié, on arrête les frais ». Ce ne fut heureusement pas le cas.
Quand on ne connaît pas la valeur du travail et de l’argent, on peut léguer des milliards et vos enfants les réduiront à un dinar.
Cette petite réussite nous a rassurés, nous avons su que le marché répondait favorablement à notre produit. Une nouvelle aventure commençait : celle de la commercialisation de notre produit. En Tunisie, on ne croyait pas en nous, il y avait beaucoup de découragement, on pensait que nous ne réussirons pas. Par contre, ailleurs le monde nous a bien accueillis et il était beaucoup plus vaste.
Comment fabriquer 500 voitures dans un petit garage ?
C’est pour cela que nous avons livré uniquement 70 voitures. La particularité de ce projet réside dans le fait qu’il n’a pas suivi un schéma classique. Nous n’avions pas de business-plan, ni de financier, nous ne savions pas comment constituer un capital, ni comment faire les calculs basiques pour la bonne marche d’une entreprise. Nous avons tout appris sur le tas.
D’où l’originalité de votre démarche…
Notre expérience est malheureusement considérée comme une expérience originale, parce que nous sommes une économie pauvre en créativité, une économie de rente, une économie d’autorisations. Parce que les gens ne sont pas créatifs et ne font pas d’efforts, il y a beaucoup de barrières inutiles à l’entrée. Le business se fait par force d’autorisations pour aboutir ensuite à des situations de confort. J’aurais pu avoir l’agrément d’un concessionnaire automobile mais je n’aurais pas été fier de vendre un produit fabriqué ailleurs, payer les droits de douane alors que je ne sais pas comment il a été conçu et construit. Comment vanter les mérites d’un produit lorsque nous ne connaissons pas ses ingrédients et son modus operandi.
Vous considérez-vous comme un bon exemple ? Il faut être très déterminé pour conquérir le marché de la construction automobile…
Malheureusement !
Pourquoi malheureusement ?
Parce que c’est malheureux pour notre économie, pour notre pays. J’aurais eu un ego démesuré, je vous aurais dit oui je suis un exemple. Mais je pense que dans un pays comme la Tunisie, il doit y avoir des milliers de jeunes qui osent entreprendre pareille aventure. C’est une question de culture, de mentalité, il s’agit de la culture du risque.
L’accumulation des richesses n’est pas le plus important pour moi. L’argent est comme un cancer, il dévore les cellules saines et poursuit son chemin sans s’arrêter. Celui qui a un million de dinars en veut 10, celui qui a un milliard en veut cent, mais tout cela n’a pas de sens. L’argent pour l’argent n’a pas de sens. Vivre convenablement est important. Une fois que nous possédons une maison, pourquoi en avoir 10 ? Nous ne pourrons vivre dans toutes ces demeures.
Si nos enfants sont des incapables, qu’ils aient une ou 10 maisons, ils ne sauront pas les préserver et ne connaîtront pas leur valeur
L’accumulation du profit, des biens et des richesses, même justifiée par le fait de garantir l’avenir des arrières-enfants ! Si nos enfants sont des incapables, qu’ils aient une ou 10 maisons, ils ne sauront pas les préserver et ne connaîtront pas leur valeur. S’ils sont intelligents et bien éduqués, ils transformeront un dinar en un milliard. Quand on ne connaît pas la valeur du travail et de l’argent, on peut léguer des milliards et vos enfants les réduiront à un dinar. Et c’est dans la famille qu’on apprend à donner de l’importance à la valeur travail, à l’audace créative et au respect de la différence. C’est dans la famille qu’on apprend à ne pas être monsieur tout le monde, ne pas suivre bêtement l’air du temps, se challenger et découvrir toutes nos ressources intérieures.
Vous avez eu une commande de 500 unités, et vous n’avez réussi à en fabriquer que 70, pour les premiers deux ans. Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées sur le plan administratif ?
Plein de choses. Il y a eu l’absence de certains composants en Tunisie, la qualité de certains matériaux, une main-d’œuvre qui n’est pas assez qualifiée parce que nous on l’a pas bien formée, les normes d’homologation, les entraves administratives, etc.
La première homologation ?
On l’a eu en France. Le processus a été très compliqué. Il a pris un an mais avoir finalement réussi nous a rempli de fierté. Notre travail et notre détermination ont été récompensés. La manière dont on a conçu la voiture, réussir à avoir un motoriste, savoir concevoir une voiture dans le respect des normes, satisfaire toutes les spécifications techniques du cahier de charge n’était pas aisé, avec les difficultés financières aussi. Il y avait plein de retards dans la production, mais nous avons tenu bon et réussi.
Moi je suis toujours curieuse, à chaque fois que je vois la carrosserie de Wallys
La carrosserie est composée de fibre de verre. Nous avons reçu un prix de la part de Christine Lagarde, à l’époque directrice générale du FMI, pour l’innovation. Au fait, Wallys est une voiture adaptée à la Tunisie qui s’adresse à un pan de la population qui aime l’originalité et l’exclusivité. Aucune Wallys ne ressemble à une autre. La Wallys la moins chère vaut dans les 29 000 dinars TTC.
La Wallys haut de gamme est une voiture fabriquée sur mesure. Qu’il s’agisse d’acier, de carrosserie, de peinture, de cuir, on y voit la main de l’homme et le génie de l’artisanat tunisien. Elle se vend à 50 000 dinars et peut aller jusqu’à 70 000. Cela dépend des options, c’est une voiture que je considère comme une voiture de luxe pour les passionnés, amateurs de voitures.
Wallys est une mentalité, c’est-à-dire qu’on n’achète pas Wallys pour rouler seulement, mais c’est plutôt le life style, et l’esprit Wallys, c’est apprécier la main de l’homme derrière un produit. Il y a ceux qui préfèrent acheter de grandes marques fabriquées par des robots ; avec Wallys, c’est la main de l’homme qu’on voit.
Donc vous avez la gamme de luxe ?
C’est du haut de gamme, du sur-mesure, la carrosserie est fabriquée par les matériaux de fabrication des coques des bateaux. Les coques sont très solides, plus solides que les autres, Ce n’est pas de l’acier, les autres font de l’acier parce qu’ils doivent sortir mille voitures par jour, nous, nous fabriquons une seule voiture/jour. Le côté granuleux de la carrosserie est fabriquée à base de résine, ainsi on ne peut pas la rayer, elle est plus résistante que les autres voitures.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali