La résolution de la crise des finances publiques constitue le premier défi à relever par le gouvernement de Najla Bouden, affirme l’économiste et directeur des études au Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), Abdeljelil Bedoui.
Selon Bedoui, l’Etat fait face, depuis trois mois et à chaque fin du mois, à la rude mission de mobiliser la liquidité nécessaire au paiement des salaires et des pensions de retraite.
Il a rappelé que la Tunisie a besoin, durant les trois prochains mois, de 8 milliards de dinars pour couvrir ses dépenses (salaires et compensation), et que ce montant s’élevait à 10 milliards de dinars avant le versement d’une partie de l’allocation de droits de tirage spéciaux d’un montant de près de 500 millions de dollars, accordée à la Tunisie par le FMI (Fonds monétaire international).
L’économiste estime que la Tunisie n’a pas d’autres solutions que de compter sur ses ressources propres face à la difficulté d’emprunter sur le marché intérieur, vu le manque de liquidité au niveau des banques (taux d’épargne aux alentours de 4%), outre la montée des coûts d’emprunt sur le marché financier international et le niveau élevé d’endettement atteint par le pays.
Il ajoute en disant que ” le taux de ressources propres fixé à 63% dans la loi de finances 2021 doit être porté à 70% “; mais cela nécessite des mesures exceptionnelles à l’instar du recouvrement par l’Etat des montants des pénalités infligées aux PME et aux personnes physiques qui s’élèvent à 12,6 milliards de dinars. “Cette mesure doit être fermement appliquée, quitte à confisquer des biens “.
Par ailleurs, Bedoui appelle à réduire les avantages fiscaux dont le montant s’élève à 6,5 milliards de dinars, soit 5% du PIB, ce qui constitue un taux très élevé, alors qu’il ne devrait pas dépasser 2%.
L’économiste propose également d’appliquer un impôt sur la fortune, se basant sur un recensement des biens qui est plus facile à opérer que le recensement des revenus.
En outre, il estime nécessaire d’imposer une taxe exceptionnelle sur les secteurs ayant profité de la crise du coronavirus, à l’instar des cliniques privées et des banques qui enregistrent des bénéfices malgré la situation économique difficile.
Parmi les mesures nécessaires, Bedoui cite la diminution du déficit de la balance commerciale par la réduction de la liste des produits non nécessaires importés pour préserver les réserves en devises, tout en estimant que “la mise en place de ces mesures nécessite du courage “.
Le défi de la relance économique
Le deuxième défi à relever par le gouvernement Bouden, c’est celui de la relance économique, qui exige aussi des mesures audacieuses et une bonne priorisation, selon Bedoui.
A ce titre, il souligne l’importance de reprendre le rythme de production des ressources naturelles à l’instar du phosphate ( 8 millions de tonnes en 2010, contre 3,5 millions de tonnes actuellement).
Il a, par ailleurs, évoqué la nécessité de faire du développement du secteur agricole, une priorité nationale, afin qu’il puisse être un véritable moteur de l’économie nationale face à la régression du secteur touristique dont la reprise n’aura pas lieu avant 2023 et du secteur industriel dont le redressement demande du temps.
Parmi les pistes d’action possibles pour relancer l’économie, Bedoui a aussi, cité le redressement de la situation des entreprises vitales pour le pays, à l’instar de la STEG et de la SONEDE, mais également des entreprises de transport et de la logistique qui constituent les artères du circuit économique.
Il a, à cet égard, appelé à réformer l’administration publique, à combattre la corruption qui la gangrène, ainsi qu’à stopper l’hémorragie de l’argent de la contrebande estimé annuellement à 4,1 milliards de dollars (selon les estimations relatives à la période 2012-2015).
Sur un autre plan, l’économiste a considéré nécessaire de lutter contre la migration des compétences, toutes spécialités confondues, afin de préserver la principale richesse de la Tunisie, ses ressources humaines.
Rappelons que, le 29 septembre dernier, le président de la République, Kaïs Saïed, chargeait Najla Bouden de former un gouvernement, en application des dispositions du décret présidentiel n°117 de 2021 du 22 septembre 2021, portant sur les mesures exceptionnelles.
La cheffe du gouvernement et les membres de son cabinet, composé de 25 membres dont 24 ministres et une secrétaire d’Etat, ont prêté serment le 11 octobre 2021 devant le chef de l’Etat.
Dirigé par une femme, une première dans l’histoire de la Tunisie et du monde arabe, ce gouvernement a pris fonction trois mois après l’annonce des mesures exceptionnelles, la destitution du chef du gouvernement, Hichem Mechichi, et le gel du Parlement.