Les taux de crédits immobiliers en Tunisie ne sont pas encourageants, les banques, ont resserré leurs conditions d’octrois depuis la crise de la Covid-19. Il est maintenant difficile de résister lorsqu’on est un promoteur immobilier et encore plus difficile de devenir propriétaire lorsque l’on appartient à une classe moyenne dont le pouvoir d’achat se dégrade de plus en plus. Avec des investisseurs endettés et des acheteurs démunis, il n’est pas dit que le secteur immobilier verra son horizon s’éclaircir à court terme.
Le point avec Fahmi Chaabane, président de la Chambre des promoteurs immobiliers.
WMC : Qu’est-ce qui explique la cherté des logements et le marasme du secteur immobilier, l’augmentation des prix des matériaux de construction, la pandémie de Covid-19 ?
Fahmi Chaabane : L’immobilier souffre en Tunisie depuis 2012. J’en parle pour ma part depuis 10 ans. La crise a commencé par les mesures fiscales, l’augmentation des droits d’enregistrement pour les acquéreurs, la TVA en 2018 et les taxes à la consommation pour les matières premières importées. Donc, des taxes à chaque étape.
Le secteur est devenu une cible idéale pour ceux qui ne veulent pas une relance de l’économie. Tout le monde sait que le bâtiment est le moteur de l’économie. Depuis 2012, le client est pénalisé dans l’immobilier. Le TMM, qui était en 2012 de 4,05%, est aujourd’hui à 6,26%, et si on y ajoute le taux d’intérêt des banques et l’assurance, on peut dépasser les 11%.
Il est certain que l’Etat a manqué à ses engagements et à ses devoirs envers le secteur en lui imposant une pression fiscale telle qu’il n’arrive pas à redémarrer. Face à cela, il y a une dégringolade du pouvoir d’achat. Depuis 2014, on assiste à une réduction progressive de la compensation touchant à l’énergie, ce qui se répercute sur les industries énergivores comme les cimenteries, les briqueteries, les usines de céramique, et touche de plein fouet le secteur du bâtiment. Un secteur qui comprend 1 million d’emplois, directs et indirects.
Quelle attitude avez-vous adoptée en tant que promoteurs dans ce contexte ?
En 2011, le coût d’un appart moyen était de 100 mille dinars, maintenant il est de 200 mille dinars. En tant que promoteurs immobiliers, nous subissons comme tout citoyen l’augmentation du TMM.
Nous pouvons contracter des prêts à hauteur de à 80% du prix lors de l’acquisition du terrain et 80% lors de la construction, avec systématiquement 20% d’autofinancement. La hausse du TMM a fragilisé notre secteur.
Les banques ne voulaient plus accorder des prêts aux promoteurs immobiliers, à cause du non respect des échéances et des difficultés de remboursement, et ce bien avant la pandémie de Covid-19.
Absolument. Mais cette réticence n’a pas touché uniquement notre secteur. Les cabinets d’architectes, les bureaux d’études, les ingénieurs, les bureaux de contrôle en ont souffert autant. C’est un effet boule de neige qui a touché toute la chaîne.
Ajouter à cela les taxes pour le permis de bâtir : de 500 millimes pour le m² auparavant, nous en sommes aujourd’hui à 1 500 millimes. Donc, si je dispose de 10 mille carrés (m²), je dois m’acquitter de 15 000 dinars au lieu de 5 000 dinars auparavant.
Il y a aussi les taxes des titres de propriété et du morcellement des terrains. Avant, pour retirer un plan et en faire une photocopie à l’Office de topographie et du cadastre, il fallait tout juste payer 15 dinars, aujourd’hui c’est entre 40 à 50 dinars.
Tout est devenu plus cher, sans parler des taxes municipales. Aujourd’hui, quand il y a un chantier, nous devons payer les taxes d’occupation de la voierie. Auparavant, seules les municipalités de La Marsa et de Sidi Bou-Saïd appliquaient cette mesure, avec des montants des taxes qui variaient entre 1 et 2 dinars le m2.
Depuis 2011, ce montant est passé à 5 dinars le m2. En principe, dès lors que je gère un chantier, je disposais d’une entrée dont je fixe le périmètre avec la municipalité. Ce droit n’existe plus et je dois payer une taxe à chaque fois qu’un camion est garé devant le chantier. Ça chiffre pour atteindre des dizaines de milliers de dinars.
Le secteur immobilier a accusé de très grands retards dans le remboursement des échéances bancaires. Quelles en sont les raisons ?
En 2011/2012, les municipalités étaient presque fermées. Les délégations spéciales n’ont pas été très efficientes. Le secteur de l’immobilier a souffert des grands retards au niveau des autorisations des permis de construire. Les effets ont été néfastes sur les promoteurs. Nous avions des crédits bancaires et des échéances. Les retards accusés dans les PV de recollement ont causé de lourds dégâts, ceci sans parler du mode de fonctionnement des délégations spéciales, des retards dans la prise de décisions et des démissions successives.
A combien s’élève le montant des prêts du secteur immobilier ?
5,600 milliards de dinars, soit un cumul des crises précédant la pandémie Covid-19 et celles lui ayant succédé. Les agios ont quintuplé, il y a des opérateurs qui ont pu s’acquitter de leurs prêts en partie et d’autres sont encore en pleine crise de paiement.
Nous avions espéré que la dernière loi sur la relance économique allait aider le secteur à se relever, mais apparemment elle n’a pas été approuvée par le président de la République.
Cette loi aurait pu aider à relancer le secteur immobilier tout en en faisant profiter les citoyens. Réduire la TVA, faciliter les conditions d’octroi des prêts et les taux des droits à l’enregistrement auraient redynamisé notre activité.
À combien était la TVA auparavant ?                               Â
Il n’y avait pas de TVA. Aujourd’hui, si je vends un appartement à un particulier, je dois compter les 13% de TVA ; s’il s’agit d’un commercial, c’est 19% – et pour le commercial ça ne date pas d’aujourd’hui. Le hic est que pour le professionnel, la taxe est récupérable, mais pour le simple citoyen qui va acquérir une habitation, elle ne l’est pas. Aux 13% de TVA on a rajouté les taxes de matériaux de construction telle la faïence considérée comme un produit luxueux. C’est comme si c’était une double taxation.
Mais vous répercutez la taxe des 13% sur le prix de vente ?
J’en récupère une partie, autour de 7%, auprès des bureaux d’études, des bureaux de contrôle et des entrepreneurs toutes spécialités confondues. Quand j’achète le terrain auprès de particuliers, il n’y a pas de TVA, mais ensuite tout ce dont nous avons besoin pour la construction comprend la partie TVA. Les barres de fer, les briques et le ciment ne sont pas les seuls matériaux de construction pour bâtir un édifice quel qu’il soit. Il faut intégrer au moins 300 spécialités. Je cite à titre d’exemple le façonnage, l’aluminium, les verreries, l’électricité/lumière, la peinture avec ses différents styles et composantes, les portes et portières, les poignées, le fer forgé, puis le plâtrier, le poseur, etc.
Aujourd’hui, l’INS n’a pas actualisé ses données en ce qui concerne les activités dans l’immobiliser. Il est complètement dépassé parce qu’il est resté dans le schéma classique qui date des années 80. Il n’y a pas eu d’actualisation des corps de métiers dans le bâtiment. Ils ne savent pas qu’aujourd’hui on travaille avec le système alarme, avec les télévisions intégrées et les antennes encastrées partout dans toutes les chambres, en plus de la fibre optique, climatisation centrale, multi-split, cuisines installées, dressings, étanchéité et autres nouvelles commodités. Plein de nouveaux métiers qui ne sont pas encore pris en considération alors qu’ils ont intégré la chaîne du bâtiment et immobilier depuis bien longtemps.
Le secteur souffre depuis bien longtemps, les responsables écoutent, ils jouent le jeu et peuvent même le pleurer avec vous, mais dès que vous sortez de leur bureau, vous n’existez plus.
Qu’en est-il du logement social ?
Auparavant, on construisait autour de 6 000 logements sociaux. Aujourd’hui, nous ne dépassons pas les 600 par an, entre services public et privé. Il y a une pénurie de terrains à construire. Je vous donne l’exemple de Fouchana où le terrain qui était de 25 dinars le m2 en est aujourd’hui à 700 dinars.
Aux Jardins de Carthage, le m2 vaut dans les 2 500 dinars, le promoteur pourrait le vendre à 4 000 dinars mais ne pourrait pas couvrir ses frais.
Vous pensez que les prix des barres de fer vont être revus ? C’est pratiquement impossible. Dans le monde entier, les prix ont flambé, le prix de l’énergie est en hausse, la facture d’une usine en électricité peut atteindre les 500 000 dinars et 1 000 000 de dinars et cela se répercute sur les prix des matériaux de construction.
Et donc pour vous, le seul moyen d’assurer la relance serait de détaxer le secteur immobilier ?
Pour avoir un logement, et si on adopte les mesures prises dans le cadre de la loi sur la relance économique, il faut contracter un prêt qui peut s’étaler sur 40 ans. Tout dépend de l’âge du contractant.
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Aujourd’hui, si vous voulez une relance économique, avec le coût exorbitant des loyers – puisqu’il y a pas de demandes d’acquisition de biens immobiliers-, il faut entériner les mesures comprises dans la loi. Celui qui loue à 1 000 dinars pourrait dans ce cas acquérir son propre logement et le payer progressivement.
L’Etat doit, pour sa part, supprimer le droit de consommation, et la TVA doit revenir au seuil raisonnable de 7%.
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Pour les logements sociaux, il y a un programme de logement social, financé par le Fonds saoudien du développement, il revient à l’Etat d’aménager les terrains et de les viabiliser pour que les promoteurs puissent assurer le reste. Il ne faut pas compter sur eux pour l’acquisition des terrains alloués au social, car leurs prix sont exorbitants.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali