La fiscalité représente un outil important de politique économique et sociale. Elle agit sur les décisions des entreprises pour tout ce qui touche à la production, la création d’emplois et l’innovation.
Les structures fiscales lourdes affectent négativement le développement économique, d’où l’importance d’un environnement fiscal encourageant l’épargne, l’investissement, l’entrepreneuriat et le travail.
Qu’attend le secteur privé de la loi des finances 2022 ?
Réponses de Walid Mejdoub, expert-comptable et président du Comité de la fiscalité à la CONECT.
WMC : Quels sont les risques de l’augmentation des impôts sur la fortune et sur les revenus sur le réinvestissement ?
Walid Mejdoub : Les théories fiscales, de l’investissement et de la croissance économique sont interdépendantes. Ainsi, plusieurs études se focalisent sur l’étude d’impact des effets de changement des taux d’imposition sur le capital et le travail afin de veiller à l’équilibre budgétaire et la croissance de l’économie.
Ces études montrent que l’augmentation des impôts paralyse la production en diminuant l’investissement en termes de recherche, de développement, ou de facteur technologique. Elle a également pour effet d’accroître le niveau de la pression fiscale, ce qui va impacter la productivité marginale du capital, en réorientant les investissements vers les activités où les taux d’imposition sont les plus bas et où la productivité est des plus faibles.
De même, des taux d’imposition élevés impactent l’efficience de l’emploi du capital humain et découragent le travail dans les secteurs à haute productivité et à taxe élevée.
Il est donc évident que la pression fiscale a un impact néfaste sur l’investissement et la croissance économique. Cette croissance est plus viable quand il y a des incitations qui orientent les acteurs à investir dans le capital.
Quels sont les risques d’une taxation qui change d’une année à l’autre sur les intentions d’investir ?
Plus de 1 000 dispositions fiscales sont parues dans les lois de finances depuis l’année 2011. Cette multitude de mesures introduites dans les lois de finances précédentes a pour effet le manque de stabilité du système fiscal. Cette situation peut retarder ou décourager les projets d’investissement.
Les changements de mesures fiscales ont abouti à des écarts d’interprétation des dispositions en matière de révision fiscale entre l’administration et les agents économiques. Ces modifications continues ont fait de la fiscalité un outil très complexe pour les investisseurs privés qui l’ont souvent critiqué et le considèrent comme obstacle à l’expansion de leurs activités.
Pour promouvoir l’investissement, il est important de renforcer la prévisibilité, la simplicité et la stabilité du système fiscal.
Quel régime fiscal devrait, d’après vous, être adopté dans la loi de finances 2022 pour encourager l’investissement, l’exportation et la création d’emploi ?
L’encouragement de l’investissement, de l’exportation et la création de l’emploi nécessite une réforme fiscale orientée vers la modernisation de l’administration fiscale, la simplification des règles fiscales, le renforcement de l’équité et de la confiance des contribuables, la protection du contribuable par des garanties et la lutte contre l’évasion fiscale.
A ces changements, il faut ajouter la réduction des contraintes réglementaires et administratives qui sont en train de renforcer les inégalités entre les entreprises, ce qui a pour effet la réduction de l’incitation des entreprises à améliorer la qualité des services fournis.
Aussi, pour relancer l’investissement, il faut que la Tunisie soit plus compétitive dans les chaînes de valeur mondiales par des mesures de facilitation des échanges et une plus grande efficacité des services logistiques.
Les enquêtes réalisées auprès des chefs d’entreprise montrent la prégnance de ces contraintes et font ressortir une détérioration du positionnement de la Tunisie dans les classements internationaux des affaires.
De même, la mise en place des conditions de financement favorables à la création d’entreprises ainsi qu’à leur croissance.
Il est aussi important de prioriser les investissements futurs et de faciliter la participation du secteur privé dans le financement et la gestion des infrastructures et services publics.
Le manque de stabilité politique et des changements fréquents de gouvernement constituent l’un des déterminants majeurs de l’investissement des entreprises.
Quelles mesures fiscales doivent être prises en faveur des entreprises, grades et PME ?
Les mesures fiscales qui doivent être prises en faveur des entreprises tunisiennes sont multiples. Nous proposons un certain nombre de recommandations :
- Accélérer la réforme du système fiscal afin de réduire l’évasion d’impôts et le commerce parallèle, mais aussi alimenter le budget de l’Etat ;
- Moderniser et digitaliser l’administration fiscale (y compris les services de la douane) en la dotant d’outils évolués, afin d’améliorer l’efficacité du contrôle et de la lutte contre l’évasion fiscale ;
- Rétablir l’avantage du dégrèvement fiscal physique notamment pour les investisseurs dans les activités industrielles et touristiques ;
- Revoir l’impôt forfaitaire et soumettre les entreprises qui sont sous ce régime de l’impôt de passer sous le régime de l’impôt réel ;
- Amendement de la loi d’investissement ;
- Amendement du Code de change ;
- Bonifier le taux de change pour les Tunisiens résidents à l’étranger ;
- Renforcer la capacité de la COTUNACE par la garantie de l’Etat ;
- Réduire les délais effectifs des paiements par l’Etat en faveur des PME et TPE au titre des marchés publics ;
- Digitaliser le parcours de l’investisseur et mettre en place une plateforme numérique commune entre les différents intervenants ;
- Mettre en œuvre le PPP afin de promouvoir l’investissement privé notamment à l’intérieur du pays ;
- Etablir un plan d’action pour faire de la Tunisie une destination numérique internationale, pour créer des emplois, et renforcer l’usage des TIC dans tous les secteurs d’activité et faire de ce secteur, à terme, la première source de recettes fiscales pour l’Etat ;
- Renforcer les IDE en portefeuille ;
- Accélérer la restructuration des entreprises publiques.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali