Trois (3) entreprises publiques, trois plans de restructuration en cours de finalisation à examiner en conseil des ministres pour adoption. Le même objectif: rétablir leur équilibre financier et les repositionner dans l’axe bénéficiaire après de longues périodes de vaches maigres.
Les plans de restructuration concernent la société El Fouledh, la Société nationale de cellulose et de papier Alfa (SNCPA) et la Cimenterie d’Om Khelil (CIOK) au Kef.
Rappelez-vous d’un dossier brûlant qui a défrayé la chronique, il y a près de trois mois, celui de la pénurie de l’acier de construction. Un opérateur privé avait été mis au pilori parce que, semble-t-il, on le soupçonnait de stocker l’acier. Il s’est avéré, après un début d’enquête, que le propriétaire de l’usine disposait du stock stratégique imposé par la loi et de marchandises en attente d’être récupérées par les clients. Ceci étant, à supposer que les pratiques spéculatives inhérentes à ce matériau existent, le problème de sa rareté est d’ordre structurel.
L’entreprise publique de sidérurgie, El Fouladh, qui a le monopole de la ferraille achetée chez les ferrailleurs à des prix abordables, n’a pas une capacité de production lui permettant de satisfaire aux besoins du marché national en billettes servant à la fabrication de l’acier. Pour y parer, il faudrait mettre en place un plan de restructuration à même de lui permettre d’accéder au statut de “grand producteur de billettes“.
Les prix de ce matériau à l’international flambent. Rien qu’au mois d’octobre 2021, le prix de la tonne de billettes est passé de 680 $ à 760 $. La Tunisie importe annuellement des tonnes des billettes pour une valeur de 210 millions de dollars. Si elle continue sur cette lancée et sur la base des prix actuels, le coût des importations dépassera les 400 millions de $ en importations. Ce qui pèsera encore plus sur le stock précieux des devises. Grâce à un plan de restructuration approprié, toutes les donnes pourraient changer.
Quid du plan de restructuration ?
On en parle depuis 2014 mais sans jamais passer à l’action. Il englobe un volet technique mais aussi des pistes de financements, tels des crédits garantis par l’Etat ou encore… une augmentation du capital dans le cadre d’un PPP (partenariat public-privé).
Au Luxembourg, « Arsenal métal » et en Egypte « Hadid Elezz » ont créé une dynamique importante dans le secteur du bâtiment. Derrière ces grandes entreprises locomotives, plusieurs services connexes ont été développés. Quand une usine d’acier usant des nouvelles technologies fonctionne dans les normes, elle crée un écosystème industriel impressionnant.
L’acier est le matériau le plus recyclable et le mieux recyclé au monde. Il peut être intégré dans des démarches d’économie circulaire englobant les métiers de la ferraille et des services à l’industrie.
Elaboré dans une approche participative entre syndicats et administration, le plan vise à doter El Fouledh d’un four d’une capacité de 600 000 tonnes, ce qui dépasse les besoins de la Tunisie de 100 000 tonnes d’acier qui pourraient être exportées. L’achat d’un nouveau four pourrait éviter à l’Etat l’importation de tonnes de billettes dans un pays où la balance commerciale est déficitaire.
Rappelons que le four de la société El Fouledh ne fonctionne qu’en partie, sa capacité de production ne dépasse pas les 100 000 tonnes par an dans le meilleur des cas, et des fois il ne franchit même pas les 80 000 tonnes. Le point fort d’El Fouledh est la maîtrise de toute la chaîne de valeurs, depuis le traitement de la ferraille, dont elle a le monopole, jusqu’à sa transformation en billettes et en acier.
La ferraille est une richesse, sa tonne atteint le prix de 450 voire 500 $. Grâce au plan de restructuration, la Tunisie peut atteindre son autosuffisance en billettes.
Dans le secteur privé, le taux d’intégration des usines ne dépasse pas les 15% après importation des billettes et laminage à chaud pour produire l’acier. Si le plan de restructuration est adopté par le gouvernement, il n’y aura plus de pénurie d’acier de construction, et les prix seront revus à la baisse puisque les billettes seront produites en Tunisie.
La CIOK, un plan de restructuration bien avancé
Autre secteur, autre entreprise. Il s’agit de la CIOK, la cimenterie d’Om Khelil au Kef. Sur ce projet de restructuration, le ministère de l’Industrie a bien avancé. L’augmentation du capital en partenariat avec le secteur privé est fort possible et souhaitable.
Il faut rappeler que la CIOK évolue dans un environnement très concurrentiel. Avec 8 autres cimenteries opérationnelles et une capacité de production installée en clinker de 10,45 millions de tonnes par an, soit près de 11,7 millions de tonnes de ciment par an, sachant que les besoins du marché national ne dépassent pas les 7 millions de tonnes par an. Il y a donc une surproduction de 4 millions de tonnes à exporter.
Aujourd’hui, les cimenteries disposent de capacités concurrentielles importantes face à une CIOK dont la mécanique de production est totalement dépassée. Le plan de restructuration coûtera quelques dizaines de millions de dinars, avec pour objectif l’assainissement de la situation financière de l’entreprise en commençant par régler les dettes de la STEG et celles des Caisses sociales.
Mais le plus important -et ceci est valable pour toutes les entreprises publiques- est d’opérer un changement total dans la gouvernance. La réflexion des décideurs devrait les mener à la nécessité de doter les entreprises publiques évoluant dans des secteurs compétitifs d’une autonomie intégrale pour un management plus souple, plus réactif au marché et doté de la capacité concurrentielle nécessaire pour rivaliser avec les autres entreprises.
La SNCPA (Société nationale de cellulose et de papier Alfa) est la troisième entreprise publique dont le plan de restructuration est achevé et sera très prochainement débattu en conseil des ministres. La farine de bois connaît une pénurie dans le monde entier à cause de la grande activité que connaît la Chine et de l’insuffisance des produits forestiers.
L’Etat tunisien a tenu pour la rentrée scolaire 2020/2021 à optimiser la production de papier pour les besoins des livres et cahiers scolaires. Ce qui n’a pas été facile. Il faut préciser à ce propos que la chaudière acquise par la SNCPA auprès d’un fournisseur turc manquerait de fonctionnalités (elle n’aurait pas permis de faire fonctionner les trois unités de fabrication de pâtes de papier et de la colle). Et même si, officiellement on préfère observer la posture « motus et bouche cousue », nous apprenons que la SNCPA aurait déposé une plainte contre le fournisseur turc payé seulement à hauteur de 49% par l’acheteur public.
Aujourd’hui, l’entreprise se serait tournée vers un fournisseur italien, les meilleurs référencés sur le marché international dans la fabrication de chaudières. Grâce au nouveau contrat signé avec les italiens, la SNCPA espère reprendre la production et satisfaire aux besoins du marché national pour la rentrée 2022/2023.
En tout cas, un plan de restructuration a été mis en place pour remettre l’entreprise sur les rails. Pour l’Etat tunisien, cette entreprise, qui produit la cellulose, est importante sur le plan social, en ce sens que c’est elle qui fournit le papier pour les cahiers et livres scolaires qu’on veut à la portée des familles modestes. Le but du plan de restructuration est de la doter de nouvelles bases financières solides et d’un management performant avec obligation de résultat.
La SNCPA n’est pas utile qu’à ce niveau, c’est également l’entreprise publique la plus importante sise dans une région frontalière et faisant vivre des milliers de familles dans au moins 4 gouvernorats (Kasserine, Kairouan, Sidi Bouzid et Gafsa).
Tout ceci pour dire que la restructuration des entreprises publiques n’est pas un luxe, il s’agit d’un acte salvateur grâce auquel elles pourraient prospérer au risque de disparaître d’autant plus que l’Etat tunisien n’a plus les moyens de continuer à injecter à perte des centaines de millions de dinars dans des entreprises qui grèvent son budget.
Amel Belhadj Ali