Le dinar tunisien continue à perdre de sa valeur suite à une longue période de difficultés économiques qui atteint son apogée actuellement. Cette situation économique difficile accentuée par une crise politique complexe oblige l’exécutif, à remettre à zéro toutes les politiques économique, budgétaire, fiscale, monétaire et de change, selon l’expert financier, Yacine Ben Ismaïl.
Pour ce docteur en ingénierie financière, un changement de l’arsenal juridique à vocation économique est requis. Une fois opéré, ce changement peut permettre à la Tunisie d’éviter le recours au FMI.
Les quatre axes stratégiques nécessaires
“La Tunisie n’a carrément pas besoin d’avoir recours au FMI et le financement de l’économie doit se faire en interne”, affirme Ben Ismail, dans une déclaration à l’Agence.
Mais pour ce faire, il faudrait agir aux niveaux de quatre axes stratégiques dont deux axes relèvent de l’économie réelle, à savoir la structure du système de répartition fiscale (directe et indirecte) et la titrisation foncière des 10,5 millions des terres agricoles.
Les deux autres axes concernent l’économie monétaire à savoir : les politiques de cotation du dinar et de change et les politiques macro-prudentielle et monétaire.
Il s’agit en effet d’optimiser les politiques de recyclage de l’épargne nationale par le biais du secteur bancaire et financier, lequel est chapeauté par une institution régalienne en tant que prêteur en dernier ressort, et ce dans le but de développer l’appareil productif déjà anéantie par l’importation excessive.
Titrisation des terres agricoles
Pour Ben Ismaïl, il est nécessaire de créer des titres pour les 10,5 millions ha de terres agricoles existants dont 500 000 hectares relevant des domaines de l’Etat, 3,5 millions d’ha sont de terres collectives et 6,5 millions d’ha relèvent des propriétés privées.
Ainsi, le président de la République est appelé à décréter -comme il l’a fait pour le passeport de vaccination contre le coronavirus- la titrisation des terres agricoles.
Changement du régime fiscal
La deuxième proposition est d’ordre fiscal et porte sur le changement du régime fiscal responsable de la répartition des richesses dans le pays, ajoute Ben Ismaïl.
A cet égard, durant les années 1970-80, les recettes fiscales de l’Etat ont été basées sur l’impôt direct (à hauteur de 80% des recettes fiscales du pays contre 20% seulement pour l’impôt indirect). Cependant, depuis l’année 2000, un renversement total s’est opéré, ce qui a permis de tirer 80% des recettes de l’Etat de l’impôt indirect (principalement de la TVA) et 20% seulement de l’impôt direct, rappelle-t-il.
Or, pour cet expert, l’impôt indirect est déconseillé pour une économie qui n’a pas encore atteint le plein emploi, comme c’est le cas pour l’économie tunisienne, laquelle ne fonctionne qu’à hauteur de 30% de ses capacités.
L’impôt indirect est d’autant déconseillé qu'”une taxe comme la TVA agit directement sur l’inflation étant donné qu’elle constitue un élément de coût qui nuit à la capacité concurrentielle de l’entreprise et à la parité du pouvoir d’achat du consommateur. Il constitue ainsi un facteur favorable au développement de l’économie parallèle, selon ses propos.
Baisser la TVA à 10% et élargir l’assiette fiscale
Yacine Ben Ismail propose comme solution d’abaisser en première étape et progressivement le taux de la TVA de manière à le fixer aux alentours de 10% et d’œuvrer en contrepartie à élargir l’assiette fiscale.
Il propose également l’exonération des médicaments et des logements, en vue d’augmenter le pouvoir d’achat des Tunisiens sans augmenter les salaires, et ce en vue de leur permettre de posséder un logement.
Le dinar et le code de change
L’expert appelle à cet égard l’exécutif à saisir cette période marquée par l’application de l’article 80 de la Constitution pour mettre en oeuvre deux propositions monétaires et financières.
Il s’agit de ramener le dinar tunisien à sa valeur (comme ce fut le cas en 2010 – une année de référence), tout en instaurant un corridor (la fourchette de variation devrait être entre -5% et +5% pour que l’euro par exemple s’échange à 1,500 dinar). Cette mesure est de nature à avoir un impact positif sur l’économie nationale, a-t-il dit, comparant l’impact du taux de change sur l’économie nationale, à celui des globules rouges sur le corps humain, ce qui permet d’agir sur les prix.
La deuxième mesure consiste à modifier le code de change de manière à offrir “aux résidents la possibilité d’ouvrir des comptes libellés en devises sans plafond, mais sous condition de plafonner le retrait en devises à hauteur de 50%. L’autre moitié ne peut être débloquée qu’en dinar tunisien”.
Intervenir sur les causes de la crise
La troisième mesure porte, selon Ben Ismail, sur la réduction du taux directeur de la banque centrale de 6,25% à 3,25% pour mieux répondre au volume réel de l’épargne nationale, tout en intégrant l’épargne des caisses et fonds d’investissements, ainsi que l’épargne de l’économie parallèle qui échappe au contrôle de la banque centrale.
Par ailleurs, l’exécutif est notamment appelé, d’après Ridha Gouia, un autre économiste, à remédier aux symptômes de la crise économique et financière que connaît le pays.
Pour cet universitaire, les facteurs politiques sont les premières causes de cette crise. Mais il cite d’autres facteurs sur lesquels il faut intervenir :
- la faible confiance dans les services de l’administration et les structures politiques,
- la mauvaise gestion des entreprises publiques qui étaient avant pourvoyeurs de fonds,
- le manque de plan économique et social à moyen et long terme et de politique de dynamisation de la création des richesses dans les régions intérieures du pays,
- l’absence d’intégration du secteur informel dans l’économie pour renflouer les recettes de l’Etat et assainir le climat des affaires et le climat social,
- l’absence d’une politique de change à même de faciliter aussi bien l’amélioration des investissements directs étrangers (IDE) que le remboursement de la dette extérieure.
La sortie de la crise économique ne peut être espérée qu’à la faveur de l’amélioration de tous ces facteurs qui plombent la croissance économique et freinent le développement du pays, estime-t-il.
Gouia appelle à cet égard à instaurer un climat de confiance, à opter pour un modèle économique inclusif et un système financier et fiscal à même de stimuler l’investissement national et étranger en vue de garantir une reprise de la croissance et la stabilité sociale et sécuritaire du pays.