Si la presse professionnelle veut réellement concurrencer les médias sociaux, elle doit rétablir sa vocation d’enquête, a déclaré, jeudi, le professeur universitaire et chercheur spécialiste des médias, Sadok Hammami.
” Il y a un paradoxe dans le fait que grâce aux enquêtes, la presse a retrouvé un nouveau souffle après la crise dans laquelle elle s’est plongée ces dernières années, à cause de l’émergence des médias sociaux “, a affirmé l’universitaire lors d’un atelier sur l’impact ” des Réseaux sociaux sur les médias en temps de crise “, organisé à Tunis les 18 et 19 novembre.
Et d’ajouter que la presse tunisienne est aujourd’hui confrontée à un nombre de problèmes liés notamment au modèle de journalisme de “Tchat” qui s’est imposé, en plus des difficultés qu’elle rencontre pour accéder à la vérité.
Au cours de son intervention, Hammami a passé en revue l’évolution des médias sociaux ; tels que “Facebook” et Twitter…, appelant à la nécessité d’engager une réflexion sur ces nouveaux environnements sociaux.
Toujours selon l’intervenant, le concept de médias sociaux reste incomplet, d’autant plus que ces outils (médias) sont devenus désormais un espace plus large ou ” environnement social “. Cet environnement est ” hybride ” car il combine l’ancien et le moderne, le numérique et le social, a-t-il encore fait savoir.
Il a rappelé à cet égard que le terrorisme, qui est une ancienne idéologie, a trouvé dans l’environnement social de la communication un incubateur et un outil utilisable.
Depuis 2014, la manière de voir les médias sociaux a évolué, a indiqué Hammami, expliquant que ces médias qui étaient jusque là considérés comme source de journalisme citoyen et de proximité, sont désormais perçus comme une éventuelle source de danger.
Le chercheur estime que les médias sociaux “ont détruit le droit de recherche de la vérité, considéré comme l’objectif ultime du journalisme professionnel démocratique “.
La société démocratique a toujours besoin de connaître la vérité, contrairement aux sociétés non démocratiques, dans le but d’éclairer l’opinion publique, a-t-il précisé.
Et de rappeler dans le même cadre que la recherche de la vérité occupe la tête de liste des principes du métier journalistique, établi par le Syndicat national des journalistes tunisiens ou d’autres institutions.
Pour Hammami, les médias sociaux reposent sur le principe de la polarisation idéologique, qui ne croit pas à la diversité et au pluralisme, contrairement aux systèmes démocratiques.
Ces médias, poursuit le chercheur, sont également basés sur ce qu’on appelle les chambres d’écho, ou bulles de filtres qui mettent les fondements de la vérité unique et présente les autres comme ” le groupe des malfaiteurs “.
Hammami a souligné que la recherche académique a conclu que les médias sociaux “constituent une menace pour les systèmes démocratiques, car dans cet environnement on voit le même message et d’un seul point de vue.”
Les médias sociaux ont, également, produit un autre phénomène ; à savoir les fausses informations, ou fake news, affirme le chercheur, ajoutant que ces informations sont un problème politique, notamment avec la confirmation de l’impact des médias sociaux sur les élections américaines à travers l’ingérence étrangère.
Il a rappelé, dans ce contexte, que la Russie s’est immiscée dans les élections américaines à travers ce que l’on appelle les usines de fausses informations.
” Je suis sûr qu’il existe des usines de fake news en Tunisie, que ce soit au sein des partis politiques, des groupes ou des pays, afin de fabriquer les informations et de falsifier la conscience collective “, a estimé Hammami.
Et de conclure que la presse tunisienne ne parvient pas à dévoiler la vérité à cause de l’attitude de certains partis politiques qui ont tout fait pour l’empêcher d’atteindre cet objectif en contrôlant les institutions ou en créant des institutions, outre le phénomène des ” chroniqueurs “, l’échec de la réforme des médias et la propagation des talk-shows.