« Entreprendre est aujourd’hui et plus que jamais un acte de courage », écrit Tarak Cherif, président de la CONECT, dans la présentation du baromètre « MIQYES » réalisé en partenariat avec le PNUD et consacré à la santé des PME. Qui pourrait d’ailleurs le contredire ?
Les PME, qui se plaignaient avant 2011 de la lourdeur des procédures administratives et de la pression fiscale, n’ont pas vu leur situation s’améliorer après 2011. Au contraire, d’autres facteurs sont venus l’aggraver encore, dont l’instabilité politique et une transition économique qu’on ne réussit pas à ce jour.
Pour identifier des pistes de sortie de cet état de récession économique et de détérioration du tissu entrepreneurial, il fallait commencer par établir un diagnostic. « La règle, c’est que le général qui triomphe est celui qui est le mieux informé », déclare Tarak Cherif, citant l’ouvrage « L’art de la Guerre » de Sun Tzu. « MIQYES, l’événement phare de la CONECT, lancé depuis 2016, a été pensé à cet effet, pour évaluer l’état de santé des PME en se basant sur des données précises et pourvues des meilleurs experts ».
Pour cette cinquième édition, l’enquête post-Covid-19 a été axée sur les PME à participation étrangère en Tunisie, « un choix éminemment stratégique pour répondre à des défis de taille, tels que le maintien des emplois, le développement et l’enrichissement du tissu entrepreneurial tunisien ».
Il en ressort que ces entreprises à capital majoritairement étranger sont en bien meilleure posture que leurs homologues à capital majoritairement tunisien grâce à leur taille moyenne bien plus importante et à des dirigeants nettement plus instruits, plus âgés et donc plus expérimentés et préparés à gérer les situations de crise. Ces PME sont principalement tournées vers l’export et moins dépendantes de marchés limitrophes, tel celui libyen.
il y a une tendance à apprécier le confort d’une stabilité même relative et l’absence de plans de riposte en cas d’imprévus
Entre les entreprises majoritaires tunisiennes et celles majoritairement étrangères, il y a une différence de taille : la culture de la gestion des crises et la capacité d’anticiper les impondérables en établissant différents scénarios en fonction de la gravité de la situation.
Dans les entreprises nationales, la capacité de faire face à l’inattendu est inférieure à celle des étrangers et c’est culturel : il y a une tendance à apprécier le confort d’une stabilité même relative et l’absence de plans de riposte en cas d’imprévus. Les PME majoritairement tunisiennes ont tout intérêt à revoir leurs pratiques managériales et à renforcer leurs capacités d’anticipation.
Mourad Ben Mahmoud, expert en transformation des PME, estime, au vu des résultats de l’enquête, que la situation est catastrophique. « Les résultats de cette édition 2021 du MIQYES, un an et demi après la propagation de la Covid-19, sont horribles. Les dégâts sont constatés à tous les niveaux. Il y va de l’avenir de la PME mais encore plus de la situation de l’emploi et de la création de valeur en Tunisie. Dix-huit mois depuis le déclenchement de la pandémie, les effets sont clairs : 12,9% des entreprises déclarent avoir fermé, et environ 40% des PME vivent un ralentissement d’activité persistant. Le tissu des entreprises de 6 à 19 employés, qui représentent 68% de l’ensemble des PME en Tunisie, est le plus affecté par la crise », explique-t-il.
Conséquence : explosion du chômage en Tunisie et répercussions sur les ressources de l’Etat qu’il s’agisse des impôts ou de la participation aux caisses de sécurité sociale en grandes difficultés aujourd’hui.
0,7% de perte d’emplois nets en 2020
L’enquête MIQYES montre que la PME en Tunisie a perdu en moyenne 0,7% d’emplois nets en 2020. Une perte qui a touché les 3 secteurs de l’économie avec un fort impact sur le secteur du commerce (-1,5% d’emplois nets en moyenne par PME dont -1,3% des non cadres). Ceci peut s’expliquer par les périodes de confinement successives à cause de la pandémie mais aussi, à l’ouverture, par la crainte des clients d’être contaminés.
Du coup, 34,2% des PME ont vu leurs activités reculer et 19,2% ont souffert de la baisse de la fréquentation des clients. 15,3% se sont résolus à fermer leurs entreprises et 3,4% ont dû licencier du personnel élevant ainsi le taux de chômage arrivé aujourd’hui à 762 600 personnes. « Le nombre total de chômeurs a atteint le record absolu de tous les temps », commente Hafedh Ateb, statisticien et ancien haut fonctionnaire du ministère de l’Emploi.
Les résultats de cette édition 2021 du MIQYES, un an et demi après la propagation de la Covid-19, sont horribles.
Perte comptable et déséquilibre financier structurel, sous-capitalisation forte nécessitant une restructuration, c’est ce qui, désormais, caractérise les PME tunisiennes. Une PME sur 2 n’a pas eu un nouveau client en 2020 et une sur 2 déclare avoir perdu un client important.
Evoluant dans un environnement défavorable à l’activité entrepreneuriale, les petites et moyennes entreprises tunisiennes souffrent plus particulièrement de la difficulté à se faire financer auprès des institutions financières qui plus est, aujourd’hui, consacrent la plus grande partie de leurs fonds à approvisionner le budget de l’Etat structurellement déficitaire.
Cette grande fragilité ne tempère pas l’ardeur des services fiscaux dont la pression constitue une contrainte majeure au maintien en activité des PME les essoufflant et épuisant. La Tunisie figure parmi les pays arabes et africains où la pression fiscale est la plus forte, sans oublier la réglementation de change et la lourdeur des procédures administratives.
En conclusion, selon MIQYES, 8,4% seulement des dirigeants de PME estiment que le cadre fiscal actuel est encourageant contre 49,4% qui le jugent démotivant.
5,6% des dirigeants de PME estiment que la réglementation de changes et son application par la BCT sont encourageantes alors que 25,9% l’estiment démotivant.
L’administration fiscale (19,7%) est considérée par les dirigeants de PME comme le principal blocage administratif, suivie de celle des douanes (16,5%) et les autorisations (13,1%) 30% des sociétés à capital majoritairement étranger considèrent que la douane représente une source de blocages administratifs à leurs activités.
5,6% des dirigeants de PME estiment que la réglementation de changes et son application par la BCT sont encourageantes contre 25,9% qui les jugent démotivantes
Un tiers des dirigeants répondants déclarent avoir été confrontés à une situation de corruption en 2020 contre seulement le quart des répondants en 2019 8,3% des dirigeants répondants déclarent avoir été confrontés à plus de 5 situations de corruption courant l’année 2020 tandis que 12,3% préfèrent ne pas donner d’avis.
A parcourir les résultats de l’enquête réalisée par MIQYES, on a l’impression que la Tunisie marche à reculons ! Plus on parle d’encouragements pour les PME/PMI, plus elles trouvent des difficultés non pas à se développer mais à exister. Plus on parle de lutte contre la corruption, plus la corruption se démocratise frappant l’administration au plus bas de l’échelle.
Le diagnostic réalisé grâce à cette enquête débouchera-t-il sur un plan pragmatique et réalisable pour secourir les PME ? On est en droit de douter de la réactivité d’un gouvernement qui n’a pas encore dévoilé son plan de relance ou de sauvetage de l’économie nationale.
les PME doivent être soutenues par un accès à une recapitalisation et une restructuration financière à des conditions acceptables
Face à cela et en l’absence de politiques gouvernementales claires, les Nations unies tentent de réduire les incidences de la pandémie de Covid-19 sur les PME.
« Nous avons adapté notre intervention en vue de renforcer la résilience des entreprises face aux chocs, en travaillant avec les entreprises existantes et en appuyant la formalisation des entreprises informelles. A travers le MIQYES, nous continuons ainsi notre engagement auprès du secteur privé et du gouvernement tunisien et poursuivons la réflexion et l’action pour la relance socio-économique et le renforcement de la résilience en s’assurant que les populations les plus vulnérables et marginalisées ne soient pas laissées pour compte », a déclaré Martine There, représentante-résidente du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en Tunisie.
Mourad Ben Mahmoud estime, pour sa part, que « les PME doivent être soutenues par un accès à une recapitalisation et une restructuration financière à des conditions acceptables sachant qu’elles s’adressent de moins en moins aux banques pour se financer ».
Sa voix sera-t-elle entendue ?
That’s the question !
Amel Belhadj Ali