Le Registre national des entreprises (RNE), institution mise en place pour favoriser la transparence, garantir la fiabilité des données et réduire la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ne semble pas intéresser les entreprises tunisiennes. C’est du moins ce qui ressort des récentes statistiques fournies par cette institution lors d’un séminaire sur le thème : «Le Registre national des entreprises, un levier de transparence et de sécurité des investissements».

Ainsi, sur un total de 152 000 entreprises enregistrées, quelque 142 000 n’ont pas actualisé leurs données depuis plus de trois ans. De prime abord, ce chiffre est effrayant. Il donne une idée sur ce pense l’entreprise tunisienne du mot “transparence“.

Opérationnel depuis février 2019, le RNE a été conçu pour être le cadre où sont immatriculées les entreprises (personnes morales et physiques) ainsi que leurs inscriptions modificatives.

La loi est pourtant dissuasive

La loi 52 de 2018 en vertu de laquelle le RNE a été créé est claire sur les obligations des entreprises enregistrées. Elle impose à cette institution de rédiger des procès-verbaux à l’encontre des entreprises qui manquent à leur engagement à actualiser, régulièrement, leurs données.

Ces procès-verbaux, voire ces rappels à l’ordre, ont une validité de 15 jours. Une fois ce délai expiré, le Centre qui gère le RNE (CRNE) suspend l’enregistrement des entreprises défaillantes et transmet le dossier au parquet.

Compte tenu du fait que le RNE soit de création récente et de la survenue en 2020 de la pandémie de la Covid-19, le CRNE, qui relève de la présidence du gouvernement, a privilégié la sensibilisation. Dans l’absolu, c’est une bonne option dans la mesure où le succès de toute réforme est tributaire de pédagogie, de communication et de suivi.

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Concrètement, lors du séminaire/webinaire précité, Adel Chouari, directeur général du CRNE, a évoqué la mise en place, en décembre 2020, d’un service veille. Ce service a justement pour finalité d’actualiser les données des sociétés anonymes, notamment en permettant la notification de tout événement pour les actionnaires minoritaires.

Pour mémoire, le RNE, dont l’ultime objectif est d’aboutir à l’identifiant unique de l’entreprise, a été créé sous la pression d’institutions internationales, s’agissant notamment de l’Union européenne (UE) et du Groupe d’action financière (GAFI), organisme intergouvernemental spécialisé dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Se rappeler pourquoi le RNE a été crée

A cette époque, en l’espace de deux mois, la Tunisie a été blacklistée par les pays membres de l’Union européenneparadis fiscal” (5 décembre 2017) et classée “pays fortement exposé au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme” (7 février 2018).

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L’Union européenne estimait, pour le premier classement, que la Tunisie “a des régimes fiscaux préférentiels néfastes et ne s’est pas engagée à les modifier ou à les abolir”. Pour le second classement, le Conseil de l’Europe a parrainé celui du GAFI. Ce groupe avait inscrit, le 4 décembre 2017, la Tunisie sur la liste des “juridictions à haut risque et/ou non coopératives”.

Il aura fallu 17 mois de mobilisation générale des autorités tunisiennes pour s’adapter, effectivement, aux normes de transparence exigées par le GAFI et l’UE.

Parmi les principales réformes initiées par Tunis, figurent la création du Centre d’enregistrement des entreprises, la création des bureaux de change et les mesures prises pour encourager le decashing.

Le gouverneur de la BCT, Marouane El Abassi, qui a joué un rôle déterminant dans la sortie de la Tunisie de la liste noire, avait déclaré à l’époque : « en dépit de ces succès, on ne doit pas baisser la garde. La vigilance doit rester de mise pour ne pas retomber dans la zone à risque ».

Conséquence : au regard du nombre impressionnant d’entreprises n’ayant pas actualisé leurs données, il semble que ce message n’ait pas été bien reçu, et que, de ce point de vue, le CRNE se doit de mettre les bouchées doubles pour y remédier.

Abou SARRA