Revoir la législation du marché financier dans le sens de durcir les pénalités contre les mauvais communicateurs, appliquer la loi contre les sociétés qui ne respectent pas l’exigence de transparence, et améliorer l’encadrement des entreprises, voilà entre autres recommandations visant à améliorer la transparence du marché financier, issues de la conférence organisée dans la soirée du mercredi 8 décembre 2021 à Tunis par l’ATUGE et I-Watch.
Participant à cette conférence sur le thème ” Marché financier : la transparence est-elle toujours au rendez-vous ? “, l’expert-comptable Anis Wahabi estime qu’une meilleure transparence du marché financier passe nécessairement par un changement de la culture dans le sens d’admettre qu’une information financière complète ne peut être que bénéfique pour tout le monde (entreprise, porteurs, investisseurs, marché, pays…).
Bien identifier le responsable de l’information financière
Il faudrait aussi, selon lui, identifier les responsables de l’information financière au sein d’une entreprise, qui sont les administrateurs, pour éviter de faire porter à tort la responsabilité d’une information défaillante aux commissaires aux comptes qui ne font que certifier les informations qui leur sont communiquées.
Wahabi estime, également, que l’amélioration de l’accompagnement des entreprises par les structures compétences (Bourse, CMF), en publiant des guides et des référentiels de communication financière expliquant la nature et la portée de l’information financière exigée, pourrait encourager à la transparence et améliorer la qualité de l’information financière publiée qui laisse beaucoup à désirer selon son analyse.
Plus de prérogative au CMF
L’expert-comptable appelle, par ailleurs, à éviter les recours à la justice, généralement peu outillée dans les affaires liées à la transparence financière, et à donner au CMF la prérogative de statuer.
En outre, il considère nécessaire de moderniser le système d’information de tout le pays qui reste un véritable frein à la transparence et à l’échange de données et d’informations.
Le taux moyen de respect de la publication par les entreprises cotées est de 84%
Pour sa part, le DG de la Bourse de Tunis, Bilel Sahnoun, a rappelé que les entreprises cotées sont tenues, de par la loi, de publier leurs indicateurs trimestriels, semestriels et annuels dans des échéances bien précises, et qu’elles sont également obligées d’informer le public, à chaque fois, où un changement majeur (actionnariat, stratégie, opérations significatives…) intervient.
Il a toutefois précisé que le taux moyen de respect de la publication par les 79 entreprises cotées, n’a pas dépassé 84%, durant les 5 dernières années, alors qu’il devrait être à 100%.
Pas de suspension de la cotation mais des pénalités…
Sahnoun a aussi évoqué un problème de non-respect des échéances de publication des indicateurs par certaines entreprises, soulignant que le CMF et la Bourse de Tunis, à qui revient la prérogative de suspendre la cotation des entreprises, évitent généralement de recourir à la suspension pour ne pas pénaliser les investisseurs et les petits porteurs. ” On ne suspend qu’en cas de faits très graves ” a-t-il déclaré.
Le responsable indiqué cependant que des pénalités sont infligées aux entreprises qui ne respectent pas la loi de la transparence financière, faisant savoir que trois entreprises ont été sanctionnées en 2020. ” Reste que la loi en Tunisie a instauré des pénalités dérisoires et pas du tout dissuasives, comparées aux pénalités instaurées par d’autres pays “, a-t-il déploré.
Compartimentage des marchés des titres de capital
Sahnoun a fait savoir que la Bourse de Tunis a émis en juin 2021 une nouvelle décision promulguant le compartimentage des marchés des titres de capital. En vertu de cette décision, un compartiment S (Sous Surveillance) a été créé et il inclut les émetteurs qui ne respectent pas leurs obligations en matière d’information financière et qui cumulent un retard de plus de 180 jours.
En 2021, 14 entreprises ont été placées dans ce compartiment et elles étaient ainsi pénalisées en termes de conditions de trading, outre le fait que ce compartiment est généralement boudé par les investisseurs.
Un comité d’évaluation s’est tenu récemment et il a décidé de retirer 4 entreprises de ce compartiment après s’être conformées aux obligations de publication financière, et d’y intégrer une nouvelle entreprise, ce qui porte le nombre d’entreprises actuellement dans ce compartiment à 11, explique Sahnoun.
Par ailleurs, il a rappelé que la Bourse de Tunis a édité, le 6 décembre 2021, un guide de reporting pour la communication extra-financière, destiné à aider les sociétés cotées, non cotées et les commissaires aux comptes à intégrer dans leurs rapports d’activité la communication non financière (stratégie, gestion des ressources humaines, gestion de l’environnement…) et ce dans l’objectif d’améliorer la qualité de l’information communiquée au public d’investisseurs, formulant l’espoir que ce guide puisse évoluer pour devenir obligatoire.
Sur la forme, Sahnoun a plaidé pour que l’information financière soit publiée en anglais, car c’est la langue des finances.
Il a également incité les petits porteurs à s’organiser dans une association ou une structure qui puisse défendre leurs intérêts.
L’adoption des normes IFRS n’a pas de force juridique…
S’agissant de l’adoption des normes IFRS (International financial reporting standards), qui sont les normes internationales d’informations financières destinées à standardiser la présentation des données comptables échangées au niveau international, les intervenants à cette conférence ont précisé que la décision du Conseil national de comptabilité (CNC ) datée de 2018 et stipulant l’obligation d’adoption des normes IFRS par les établissements financiers, compagnies d’assurances et réassurance et sociétés cotées, pour l’exercice 2021, n’a pas de force juridique pour modifier les dispositions réglementaires de la loi relative au système comptable des entreprises en Tunisie.
Ils estiment que cette décision avait pour objectif de préparer la mise en place des prérequis nécessaires et l’anticipation de la mise en place effective, affirmant que la transition vers ces normes nécessite la mise en place du cadre réglementaire adéquat et qu’elle sera probablement reportée en l’absence de ce cadre.
Ils ont cependant souligné l’importance de cette transition qui permettra d’apporter une lecture universelle de la communication financière, de réduire l’asymétrie de l’information et de garantir une meilleure pondération des risques futurs.