La Guinée est présente en compétition officielle aux Journées théâtrales de Carthage (JTC) 2021 avec la pièce “Les Cartes de l’Afrique” mise en scène par Rouguiatou Camara, d’après un scénario d’Ibrahima Alsény Bangoura.

Cette pièce (1h10′) a fait son avant-première africaine aux JTC (4-12 décembre 2021), avec deux séances, le mardi 7 décembre au Rio Tunis.

Dans une interview accordée à l’agence Tap, Ibrahima Alsény Bangoura, auteur-comédien et dirigeant de la compagnie Nimité théâtre Guinée, s’est confié sur la réalité du théâtre actuel dans le Continent, notamment en Afrique noire.

Les handicaps qui freinent l’évolution du quatrième art dans son pays, la Guinée, un pays sur l’atlantique, sont au cœur des préoccupations de ce créateur guinéen qui pilote une compagnie d’une quarantaine d’artistes, comédiens et metteurs en scène polyvalents.

Quel théâtre en Guinée et en Afrique en général ?

Autour de la qualité des textes et de l’écriture pour le théâtre africain, Ibrahima Alseny Bangoura estime qu’il existe de “bons scénarios, de très bonnes pièces de théâtre”, mais la question qui se pose se rapporte plutôt “aux sujets abordés”.

Certains tombent dans ce qu’il qualifie de “facilité”, en faisant des productions qui ne reflètent pas vraiment la vision et les besoins des Africains.

“Est-ce que nos textes répondent aux aspirations des peuples du Continent et pourquoi nous faisons du théâtre?”, s’interroge-t-il.

Pour une politique générale à même d’aider à surmonter les défis

Le théâtre guinéen comme celui dans toute l’Afrique, et l’Afrique noire en particulier, a “d’énormes difficultés” que le comédien essaie d’en faire la lecture. Dans son diagnostic, il trace les contours d’une politique générale qui aiderait à surmonter les défis qui se posent pour un secteur en manque de visibilité et de structuration.

Les problématiques qui minent le Théâtre en Afrique ont de larges ramifications et nécessitent divers axes de réflexion. D’après lui, au niveau du scénario, les auteurs écrivent sur des réalités étrangères, ce qui leur facilite un accès aux ressources financières et se produire pour d’autres publics, en Occident spécialement. Le problème qui se pose, se rapporte ainsi à l’existence de pièces qui répondent aux besoins de la communauté africaine.

Problème de restructuration…

Sur un autre plan, il y a le problème de restructuration, notamment dans son pays. Quoiqu’une certaine volonté existe depuis quelques années en Guinée “qui a élaboré une politique culturelle, sa mise en oeuvre pose toujours problème”. Cette orientation politique nécessite, de son avis, “un plan d’action et une implication effective des bailleurs potentiels dans sa révision” et il reste encore “du chemin à faire pour que le Théâtre soit une priorité dans l’agenda du gouvernement”.

Car comme il le dit, “la priorité est donnée entre autres aux questions du football et d’autres secteurs alors que la culture est mise à l’écart pourtant elle peut contribuer efficacement à la résolution des problèmes. C’est un secteur pourvoyeur d’emplois, économiquement rentable”.

Ceci pose “une réelle préoccupation” qui, de l’avis de l’auteur, influence les initiatives de mécénat et des bailleurs de fonds “qui ne vont pas chercher à s’investir.

Ne pas tout faire…

L’auteur évoque un nombre important de compagnies, sauf qu’elles n’essayent pas d’entreprendre en créant un modèle de théâtre qui balise le chemin vers une réelle progression au niveau de la création et dans le secteur.

Au niveau de chaque compagnie, il y a ce qu’il appelle une sorte de volonté de tout faire à la fois dans des compagnies où tout tourne autour de la même personne.

En l’absence d’agréments qui leurs permettent d’être reconnus auprès des instances publiques en charge du théâtre, certaines compagnies se trouvent aussi dans l’incapacité de soumettre leurs projets ailleurs.

Manque de formation…

D’après lui, le Théâtre en Guinée souffre du “manque de formation, non seulement pour les interprètes mais aussi pour les metteurs en scène”. Par conséquent, dans tout le pays, il existe “pas plus que quatre metteurs en scène confirmés”.

Au niveau de la production, le manque se manifeste dans la quasi-absence de managers spécialistes dans la gestion Théâtrale qui peuvent prendre en charge le volet de la distribution et la vente de l’œuvre.

En tant que dirigeant d’une compagnie, il se trouve dans la même position que ses compatriotes qui essayent de créer et de faire la recherche sur internet pour nouer des contacts et faire la promotion de leurs nouveaux projets.

Ce chevauchement entre les tâches – celle de la création et de la gestion-, rend les choses encore plus compliquées pour les hommes de théâtre guinéens.

La création dans Nimité Théâtre Guinée

Partant de l’importance du 4eme art comme étant un art fédérateur et un secteur vital dans l’évolution des sociétés et des mentalités, Bangoura évoque le rôle éducatif et l’importance de proposer “un genre de théâtre orienté vers le public et qui aide au changement des comportements dans nos communautés.

Il va vers un théâtre qui doit être le miroir de la société où il est créé et refléter les préoccupations locales pour permettre à l’œuvre une visibilité auprès du public national.

Il préconise un genre de théâtre qui surtout s’adresse à la communauté et dans une langue compréhensible par le spectateur ce qui permet de transporter l’œuvre à l’international.

Partant de ses convictions d’un auteur qui réclame tant son panafricanisme et son adhésion aux causes du Continent et encore plus dans celles de son proche entourage, le théâtre qu’il propose est parfois un théâtre politique à travers des textes bien réfléchis.

Dans ses écrits, il dit “titiller l’esprit des uns et des autres, non pas parce qu’il ne connaissent ce qu’on leur montre, mais uniquement pour leurs rappeler certaines questions de l’époque”.

Sur scène on se donne de larges pouvoirs dont il exploite pleinement, en tant que créateur, pour éveiller la curiosité et la conscience du public récepteur. A partir de son talent d’écrivain pour le théâtre, il “profite de cette liberté de penser, d’écrire et de convertir en textes” ce que l’on voit et ressent autour de nous.

Dans “Les Cartes de l’Afrique”, une pièce adaptée depuis 2010 dans plusieurs versions, l’auteur avait réalisé un succès ce qui lui a valu de bénéficier des formations et des visites d’étude dans l’un des plus grand festival de théâtre en France. Il précise, “je suis allé pour m’inspirer”. Cette inspiration artistique lui vient aussi de ses lectures, recherches et recueils de témoignages sur le thème de l’immigration.