Les maux de l’Afrique, un continent condamné à la pauvreté et à l’exil de sa jeunesse en quête d’une vie meilleure sont abordés sur scène dans un puzzle dramatique sur “Les Cartes de l’Afrique”, qui offre un nouveau regard sur le théâtre plutôt savant en Guinée.
“Les Cartes de l’Afrique” est une pièce (1h10′) mise en scène par Rouguiatou Camara, d’après un scénario d’Ibrahima Alsény Bangoura. Elle a fait son avant-première africaine dans le cadre de la compétition officielle de la 22ème édition des Journées théâtrales de Carthage (JTC, 4-12 décembre 2021)) avec deux séances, le mardi 7 décembre, au Rio Tunis.
Des scènes inédites traduisant tant de problématiques qui rongent le continent ont été interprétées dans ce puzzle dramatique par cinq acteurs, trois hommes et deux femmes: Amadou Camara, Fodé Wallace Sylla, Faycal Zayette, Marie Louise Bangoura et Mamaissata Sylla.
La pièce tourne autour de quatre jeunes, venus de différentes régions de l’Afrique, exténués par le désarroi quotidien, et qui se retrouvent devant une ambassade occidentale, pour avoir un visa. Le vigile de l’ambassade, interprété par Fodé Wallace Sylla, se montre intéressé voulant tout savoir sur les raisons qui les poussent à quitter leur pays.
Face à cette question, s’improvise le débat à la fois drôle et dramatique qui met en lumière les causes profondes et les drames de l’immigration. La divergence des points de vue, la pertinence des arguments, la hantise d’obtenir le visa et le refus du vigile de remettre les passeports sont entre autres la trame de ce spectacle plein de suspens et de rebondissements.
L’auteur Ibrahima Alsény Bangoura présente une pièce revisitée écrite sur 10 ans et dont l’histoire est inspirée de l’expérience de son frère junior. A l’époque, il avait présenté son dossier pour avoir un visa. Un long calvaire, sur deux ans, qui s’est soldé par un refus de lui accorder le visa sans compter les frais du dossier qui ne sont pas remboursables.
“De là est venu le déclic” pour le scénariste qui dit avoir travaillé sur son texte, résultat de ses lectures, ses recherches et interviews avec des personnes ayant tenté de faire le voyage à travers la mer.
Le passeport constitue le fil conducteur pour toutes les histoires de migrants. Pièce d’identité obligatoire pour tout voyageur, ce passeport est l’intrigue. Le dialogue entre les jeunes et le vigile, curieux, permet de mettre les projecteurs sur les problèmes dont souffre l’Afrique, certains blâment les dirigeants politiques ou les populations africaines, d’autres accusent l’Occident ou même le Grand Seigneur.
Cette œuvre théâtrale est une production de la compagnie Nimitè Théâtre de l’Afrique, basée dans la capitale Conakry dirigée également par Ibrahima Alsény Bangoura avec Amadou Camara à la direction artistique.
Les artistes de Nimité Théâtre de Guinée sont de retour à Tunis après une précédente participation aux JTC 2018 avec la pièce “La Solitude dans les Champs de Coton”, mise en scène par le Français Antoine Bailloeul, et interprétée par Fodé Wallace Sylla et Amadou Camara.
Pour cette année, ils présentent une production cent pour cent guinéenne, “Les Cartes de l’Afrique”, dont la première nationale a eu lieu en décembre 2019, au festival international de Théâtre de Guinée. Ce nouveau théâtre venant du Continent noir affirme encore une fois la singularité de l’approche théâtrale d’artistes polyvalents.
La metteuse en scène de la pièce dirige une compagnie de théâtre. C’est aussi une actrice dans le théâtre et le cinéma qui est auteure de plusieurs rôles en Guinée, en Afrique et en Europe. Elle est lauréate du 1er prix de l’interprétation féminine au festival international de théâtre expérimental du Caire (2007).
Après “La Solitude dans les Champs de Coton”, le duo Sylla-Camara revient dans deux rôles qui traduisent leur totale adhésion dans un théâtre savant où la force du texte s’ajoute à celle de l’interprétation et une présence sur scène dont ils savent bien les secrets. Leur collaboration en tant qu’acteurs ou acteur-metteur en scène les a aidés à avoir une totale maitrise de la scène.
Fodé Wallace Sylla est un habitué des JTC. Initialement laborantin, cet acteur a débuté son aventure théâtrale en 2002 avec le metteur en scène français, Fréderic Ortiz. A partir de son métier de laborantin et celui d’acteur, Wallace a réussi à créer une symbiose sur scène. Son talent d’acteur est palpable dans le rôle qu’il interprète à la perfection.
Sa collaboration avec son ami Amadou Camara, en tant que metteur en scène, remonte à 2016 avec lequel il joue dans ” Le Calvaire “. Camara est un diplômé de sociologie de l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia-Conakry qui porte la casquette d’acteur, conteur, script writer et auteur.
Il est metteur en scène de deux pièces de théâtre, “Le décret” et “La conquête d’un pays ou tragédie de Tondon”.
Dans “Les Cartes de l’Afrique”, il joue depuis 2010, puis en 2016, 2019 et 2021. Il est acclamé par la critique guinéenne pour son rôle dans “Le Tartouffle”, une adaptation de l’œuvre de Molière, mise en scène par Ansoumane Diessira Condé qui est également journaliste et animateur assez connu.
“La Solitude dans les Champs de Coton”, deux monologues se croisent dans un duel littéraire au vocabulaire pas assez évident à déchiffrer et un dialogue assez long sur le fonctionnement du monde.
La pièce est une création 2018 qui se situe dans le genre de théâtre professionnel et constitue une adaptation identique de l’oeuvre du dramaturge français disparu (1989) Bernard-Marie Koltès. Ce grand fervent de sommités de la littérature mondiale comme Shakespeare, Tchekhov et Dostoïevski avait beaucoup voyagé et fréquenté l’univers africain dans de nombreuses productions théâtrales.
Si les faits dans “Les champs de Coton” sont l’incarnation de cette perte fatale des valeurs et de communication réelle qui est assez chère, ceux dans “Les Cartes de l’Afrique” ne semblent pas s’éloigner de cette même vision critique envers le monde actuel.
Cette nouvelle œuvre creuse dans les dessous d’un régime mondial injuste où les grandes puissances imposent leur loi. Le vieux continent appauvri, malgré ses richesses, demeure à la merci de l’Occident et d’un monde gouverné par ceux qui s’autoproclament, plus forts et plus civilisés.