Le climat d’affaires n’est pas au beau fixe, selon une enquête réalisée récemment par l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives relevant du ministère de l’Economie et de la Planification (ITCEQ). Cette enquête a couvert le premier semestre 2021.
Le secteur privé est malade, maltraité, honni et dénigré ! What else ?
« Comment voulez-vous que les hommes d’affaires tunisiens continuent à investir, à créer des emplois, à payer les impôts dans la transparence la plus totale lorsqu’ils sont traités comme des gangsters ?
Autant, nous approuvons tous la lutte contre les pratiques de corruption ou les infractions aux lois en vigueur, autant nous ne pouvons comprendre pourquoi on reproche leurs réussites et leurs réalisations financières à des personnes qui ont eu le courage d’entreprendre, qui ont pris le risque dans des milliers de cas d’hypothéquer leurs biens pour créer leurs entreprises ?
Réalisations qui sont réinvesties par le plus grand nombre d’entre eux dans de nouveaux projets qui œuvrent au développement de l’économie nationale. Devons-nous stigmatiser les opérateurs privés parce qu’ils présentent bien ? La réussite est-elle devenue une tare dans notre pays ?
Le monde du business a ses règles, et un homme d’affaires qui a réussi est un acteur important dans la croissance économique de son pays. Les hommes d’affaires sont des patriotes qui aiment leur pays et qui luttent chaque jour que Dieu fait pour se frayer un chemin dans des milieux de plus en plus concurrentiels à l’international. Ils ont besoin que leur Etat soit avec eux et non contre eux. L’environnement des affaires doit être encourageant et non hostile ».
Ce cri du cœur émane de Hédi Djilani, ancien président de l’UTICA, et l’un des opérateurs les plus importants dans le secteur des textiles en Tunisie.
Les conclusions de la 21ème enquête annuelle de l’ITCEQ sur le climat des affaires et la compétitivité des entreprises ne vont malheureusement pas dans le sens d’un environnement encourageant l’investissement et propice au développement de l’initiative privée, ce qui, paradoxalement, n’empêche pas les opérateurs privés à être optimistes à moyen et long termes.
Le niveau de l’IPCA (Indicateur synthétique de perception du climat des affaires élaboré depuis 2007) est, pour la première fois, inférieur à 50, ce qui illustre une insatisfaction des opérateurs privés par rapport au climat d’affaires en Tunisie.
Infrastructures physiques, logistiques, législations, financements, stabilité macroéconomique, climat politique seraient décourageants selon les 1 726 entreprises questionnées.
La corruption, une contrainte majeure !
70% des entreprises estiment que le climat politique est une contrainte majeure pour le développement des affaires et son instabilité explique que près du tiers des entreprises n’aient pas investi en 2020. C’est d’ailleurs l’indicateur “climat politique“ qui a accusé la plus forte baisse, se positionnant comme la principale cause de détérioration de la perception du climat des affaires en 2020, relèvent les analystes de l’ITCEQ.
Le climat social, les pratiques non éthiques du marché, les procédures administratives, la corruption et le financement bancaire, le cadre macroéconomique ont également contribué à cette baisse.
69% des entreprises considèrent la corruption comme une contrainte, une corruption qui s’est accentuée en 2020. 6% seulement trouvent que le phénomène de la corruption s’est retracté en 2020 par rapport à 2019.
Les sondés sont divisés quant à l’évolution de ce phénomène. Certains estiment que l’entreprise y joue un rôle, d’autres l’administration publique, mais ce qui est sûr, c’est que l’une des raisons principales des avancées des pratiques de corruption dans notre pays est l’arsenal légal constitué de milliers de lois et la lenteur de la digitalisation des services administratifs.
Pour les entreprises, la digitalisation est le principal outil de lutte contre la corruption (33%), suivie de la mise en application de lois dissuasives (21%), l’obligation de mettre en ligne les services administratifs (20%) et enfin l’allègement des procédures (18%).
Les services en ligne les plus sollicités par les entreprises sont la télédéclaration des impôts (88%) et l’enregistrement au Registre national des entreprises (71%). Les moins sollicités sont les formalités de dédouanement (19%) et le TUNEPS (25%).
Le TUNEPS, précisons-le, est l’un des services confrontés à une grande résistance de la part d’une administration publique que l’immatérialisation des procédures dérange au plus haut point. Et pourtant, c’est le service qui rassure le plus les entreprises lesquelles en sont moyennement satisfaites (60%).
Les services en ligne souffrent toutefois, d’après les entreprises, de nombre de défaillances relatives à la complexité et à l’inefficacité des plateformes informatiques, le manque de confiance dans la sécurité des données et la couverture réseau. Du coup, le déplacement à l’administration devient inévitable, à l’exception pour le TUNEPS dont l’insatisfaction revient principalement au problème de couverture du réseau.
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Pour remédier à cette situation, les entreprises appellent les décideurs publics à réduire le nombre de procédures (51%), à accentuer les campagnes d’information (41%), à doter les administrations publiques des technologies appropriées (41%), à instaurer le caractère obligatoire du service en ligne (31%) et à instaurer un système d’évaluation interne (21%).
Le climat social mis au pilori mais pas seulement !
Malgré un recul du nombre de protestations ces dernières années, les premiers mois de l’année 2021 ont connu une certaine reprise, selon l’enquête de l’ITCEQ. Ceci a des répercussions sur les décisions des chefs d’entreprise dont 64% considèrent le climat social comme une contrainte majeure à leur activité. Plus de 20% des entreprises n’ont pas investi en 2020 à cause des tensions sociales
Le financement bancaire représente également une contrainte structurelle qui freine le développement de l’activité des entreprises. Les principales difficultés résident dans les garanties exigées et dans le taux d’intérêt, selon 43% et 80% des chefs d’entreprise respectivement.
Le cadre macroéconomique approché par les agrégats macro (le taux de croissance du pays, le taux d’inflation, le taux de change) est considéré par 60% des entreprises comme une contrainte majeure.
Le code de change et le cadre juridique sont des entraves au développement des affaires.
L’année 2020 et l’avènement de la pandémie de Covid-19 ont eu des conséquences désastreuses sur les entreprises dont les réalisations ont baissé, qu’il s’agisse de la production ou de l’activité (70%), ou du chiffre d’affaires (72%). Les exportations pour les entreprises sondées ont régressé de 71% et leurs parts de marché ont été réduites de 61%. Plus des deux tiers des entreprises signalent avoir dû suspendre leur activité en 2020 pour des raisons directement (confinement obligatoire) ou indirectement liées à la Covid-19.
Optimistes malgré tout
Bien que les conditions parfaites pour faire des affaires n’existent pas encore, les chefs d’entreprise affichent un optimisme clair quant à l’évolution future de leurs indicateurs d’activité en 2021.
Le manque de visibilité qui a marqué les anticipations futures des chefs d’entreprise et révélé dans les enquêtes des dernières années a été rattrapé selon les résultats de l’enquête 2020. Aujourd’hui, tellement l’entreprise qui a vécu des situations extrêmes (pandémie, inondation pour certaines, cyberattaque pour d’autres) voit plus clair et ses anticipations sont départagées entre hausse, baisse et stagnation.
De même pour les anticipations en matière d’emploi et d’investissement, l’incertitude qui a marqué les dernières enquêtes s’est transformée en un certain optimisme pour le moyen et long termes.
Pour rappel, l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (ITCEQ) mène depuis l’année 2000 une enquête annuelle sur le climat des affaires et la compétitivité des entreprises auprès d’un échantillon représentatif d’entreprises privées.
Amel Belhadj Ali
Source : 21ème enquête annuelle sur le climat des affaires et la compétitivité des entreprises : principaux résultats (ITCEQ).