« Maintenant que l’ivresse est passée, place aux créanciers » ! Ce dicton populaire reflète parfaitement l’état des lieux d’un pays, la Tunisie, secoué par des crises économiques successives et peinant à boucler le budget de l’Etat 2021 et à finaliser le budget de l’Etat 2022 !
Et pour cause ? Si la Tunisie veut sauver la mise et assurer la relance économique espérée, elle est acculée à oser les réformes économiques exigées pour rétablir son partenariat avec le FMI et les bailleurs de fonds internationaux, seule alternative –crédible- pour remettre le pays sur pieds.
Une interrogation toutefois : l’UGTT a-t-elle été associée à l’élaboration du programme de réformes pour éviter un rejet dont les répercussions seront désastreuses sur le pays ? Ceci est d’autant plus important que, pour le FMI, un consensus entre l’Etat, les partenaires sociaux et la société civile autour des réformes décidées par le gouvernement est indispensable pour engager sérieusement les discussions pour l’accord d’un éventuel prêt.
Dans l’attente, le programme de réformes du gouvernement Bouden a bien avancé.
Ambitieux et courageux, il vise à remettre la Tunisie sur le chemin d’une croissance même modeste de l’ordre de 3% en 2025/2026 et de réduire l’inflation à 4,9% au cours de ces deux années. Le déficit budgétaire devrait être se situer à environ 6,5 milliards de dinars en 2026 soit -3,5% du PIB et les besoins en financements ne devront pas dépasser les 18,859 milliards de dinars.
Le prêt de 300 millions de dollars accordé par l’Algérie servira à boucler l’année 2021 tout en espérant que les échéanciers pour le règlement des achats de gaz et de pétrole algériens repoussés à 6 mois au lieu de 3 mois permettront de réduire la pression sur le budget de l’Etat tout comme la reprise de la production du phosphate. Une reprise qui aura un impact positif sur la balance de devises et permettra de dégager des excédents de trésorerie à la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) et au Groupe chimique dont pourrait profiter l’Etat.
Mais cela ne suffira pas à rétablir les équilibres financiers de l’Etat, d’où l’importance de relancer le programme d’appui du FMI à la Tunisie. Selon les informations qui nous sont parvenues, l’impact total des ajustements du projet de réformes que l’Etat tunisien compte soumettre au FMI serait de l’ordre de 4,977 milliards de dinars.
Parmi ses grands axes figure la maîtrise du dérapage de la masse salariale en maintenant une tendance baissière pour dégager un espace budgétaire pour les dépenses sociales et l’investissement public.
Les ressources humaines de qualité étant indispensables pour l’efficience du travail gouvernemental, l’Etat investira désormais dans la professionnalisation des RH et la valorisation des compétences tout en rationalisant les effectifs et la rémunération dans la fonction publique.
Réduire les dépenses publiques et accroître les ressources de l’Etat
C’est une économie de l’ordre de 415 millions de dinars (MDT) en 2022 que l’on vise grâce au gel des recrutements. Le gel des salaires fera gagner à l’Etat 1,060 milliard de dinars entre 2023 et 2024, et le coût du programme de retraite anticipée sera de 84 MDT. Ceci sans oublier les encouragements pour une mobilité vers le secteur privé et la prolongation des congés pour la création d’entreprises. L’impact financier de ces mesures est de l’ordre de 1,559 milliard de dinars.
Concernant la compensation, il n’y aura pas d’ajustements à court terme. Une étude d’impact sera menée pour mieux orienter les dépenses sociales et alléger les dépenses de compensation. Une plateforme sera mise en place pour l’inscription et la gestion des transferts sociaux en fixant une date de ciblage à partir de 2023.
L’Etat veillera au contrôle des circuits de distribution des produits de base et à la réduction du nombre de bons d’essence pour les emplois fonctionnels, ce qui lui fera gagner respectivement 400 MDT et 3 MDT.
Dans le but d’accroître les ressources de l’Etat, on compte augmenter les prix du tabac, ce qui pourrait rapporter au budget de l’Etat 300 MDT.
Les nouvelles dispositions fiscales, elles, rapporteront 781 MDT, ainsi que les recettes non fiscales additionnelles, 300 MDT. Associés à d’autres mesures chiffrées à 500 MDT, on s’attend à un impact financier de l’ordre de 1,881 milliard de dinars.
L’Etat tunisien est également déterminé à se soustraire progressivement de la compensation des produits énergétiques très coûteux dans un contexte international où les prix du pétrole ne sont pas stables et peuvent augmenter brutalement, et dans un contexte national où les syndicats privent le pays de sources d’énergies propres et peu coûteuses.
Un ancien haut responsable s’en est d’ailleurs indigné à juste titre : « Comment peut-on tolérer que la centrale solaire de 10 MW ne soit toujours pas reliée au réseau électrique national depuis 2 ans du fait du refus de la partie syndicale sous des prétextes fallacieux ? ».
Le non-raccordement, rappelle-t-il, est une triple perte : 1 million de dinars par an d’énergie non-utilisée, un million de dinars en devises payés à acheter du gaz, sans parler des émissions de CO2 du fait du gaz utilisé.
Impuissant devant les syndicats et incapable de couvrir les dépenses énergétiques de plus en plus onéreuses, l’Etat n’a donc d’autres choix que d’appliquer le mécanisme d’ajustement automatique des produits (Gasoil ordinaire et essence) à un taux de 3%. Une commission pour l’ajustement automatique des prix pour électricité et gaz sera créée à cet effet, tout comme la mise en place d’une plateforme de ciblage pour le GPL et la levée progressive de la subvention.
Les ajustements proposés pour les prix des produits énergétiques sont l’activation du mécanisme automatique des prix à la pompe qui permettra de gagner 1,043 milliard de dinars, la hausse des tarifs de l’électricité haute et moyennes tension dont l’impact financier est de 204 MDT, 212 MDT pour la hausse des tarifs de l’électricité à la basse tension, 134 MDT pour la hausse des tarifs du gaz naturel et moyenne pression, 53 MDT pour l’augmentation des tarifs de gaz naturel basse pression, soit un total de 1,645 milliard de dinars.
La levée progressive de la subvention sur les produits énergétique vise à atteindre la vérité des prix à l’horizon 2026 tout en prenant en compte les couches sociales vulnérables.
En s’engageant sur la voie des réformes structurelles, Najla Bouden est consciente qu’elles sont non seulement essentielles pour reprendre les négociations avec le FMI et les bailleurs de fonds internationaux mais nécessaires à la restauration de la croissance et à la soutenabilité de la dette publique. En fait, elle a choisi des remèdes douloureux à un possible effondrement économique et la faillite de l’Etat.
Les partenaires sociaux, et en prime l’UGTT, joueront-ils le jeu ?
Amel Belhadj Ali