La loi de finances 2022 n’est pas idéale. C’est le moins que nous puissions dire. Il faut reconnaître un héritage lourd sur le plan budgétaire. Des dettes à n’en pas finir et des déficits dans presque toutes les entreprises publiques. Une situation qui aurait dû inciter à des dispositions fiscales plus légères et plus équitables.
Ce qu’on reproche à cette loi est une certaine incohérence et un décalage entre les intitulés des chapitres récapitulant les dispositions fiscales – tels le soutien aux familles nécessiteuses et aux entreprises ou encore l’appui à la relance économique – et le contenu des articles promulgués dans le cadre de la loi de finances 2022.
L’augmentation des taux et droits de douanes sur nombre de biens de consommation pourrait se répercuter sur les prix à la consommation et exacerber ainsi les tendances inflationnistes.
L’ennui est que ces augmentations ne se limitent pas aux produits de luxe, nous explique un expert économique. «Nous pouvons prendre l’exemple des pneumatiques. D’après-vous, ceux qui possèdent des voitures âgées de 15 à 20 ans et dont les revenus sont très moyens ont le droit ou non de changer leurs pneus à des prix abordables ? Ils sont obligés d’acheter les pneumatiques, la vignette dont le prix a augmenté et le carburant pour aller au travail, accompagner leurs enfants à l’école et faire leurs courses. Ces gens-là vont être pénalisés».
Pour cet expert, même la noble cause consistant à défendre le marché local contre les importations sauvages, le commerce parallèle et le dumping ne peut justifier autant d’augmentations dans les droits de douane. «Tout d’abord, il faut savoir que certains articles qui ne sont pas fabriqués localement ont été pénalisés. Il ne s’agit pas là de produits de luxe mais d’articles brigués par la classe moyenne. Et puis, il n’est pas normal que les produits soumis à la taxe sur l’environnement voient leur taux d’imposition passer de 5 à 7%. Les taux tuent les totaux. Du temps du défunt Slim Chaker, en 2016, la décision de baisser les droits de douane a permis l’augmentation des recettes fiscales, et les chiffres d’affaires des grandes surfaces sur les vins et liqueurs avaient considérablement augmenté, ce qui avait profité à l’Etat».
La loi de finances 2022 comporte aussi une contradiction de taille : fragiliser le tissu industriel privé pour sauver une entreprise publique ! Il s’agit de la Pharmacie centrale de Tunisie (PCT) autorisée par l’Etat à importer des médicaments exonérés de TVA et qui ont pourtant leurs équivalents en Tunisie, sachant que les laboratoires nationaux sont obligés d’acheter les matières premières soumises à la TVA pour les fabriquer. Cette mesure a été dénoncée par la Chambre nationale de l’industrie pharmaceutique qui se dit indignée de voir que l’Etat, censé protéger les industries locales et les soutenir, pénalise les fabricants nationaux pour sauver les finances de la Pharmacie Centrale. L’avantage d’une durée de deux ans accordé à la Pharmacie centrale tunisienne en vertu de la loi de finances de 2022 réduisant à 0% les droits de douane, qui étaient auparavant de 30% sur les médicaments importés ne sauvera pas la PCT mais atteindra en plein cœur l’industrie pharmaceutique nationale. Une mesure qui frôle l’illégalité et contre laquelle le Conseil de la concurrence pourrait être saisi.
Faire preuve d’ingéniosité pour assurer la relance !
Par ailleurs, les lignes de financement visant à aider les entreprises sont à applaudir si ce n’est qu’elles sont dérisoires. 100 millions de dinars en tout ne peuvent aider à maintenir un tissu entrepreneurial fragilisé par 10 ans d’instabilité politique et sociale et achevé par la pandémie de Covid-19. Pas moins de 50.000 entreprises risquent de disparaître dans les prochains mois.
Il fallait faire preuve d’ingéniosité pour affronter un héritage lourd de mauvais choix et de mauvaise gouvernance, mais malheureusement la loi des finances ne contient pas de mesures encourageant l’investissement. On s’attendait à des dispositions pour réduire les contraintes réglementaires et administratives, diminuer le nombre de licences, d’autorisations d’exercice, de décisions pour briser les monopoles afin de lutter contre l’économie de rente, mais il n’en est rien.
Nous avions espéré des mesures audacieuses, tels le dégrèvement physique sur les réinvestissements pour booster l’investissement ou encore la création d’un CEA entreprise, elles n’ont malheureusement pas été prises.
Sur un tout autre volet, nous ne pouvons que relever l’absence, dans le cade de la loi de finances, de mesures en faveur de l’équité fiscale. La loi de finances 2022 n’a même pas apporté des réformettes au régime forfaitaire alors qu’elle aurait permis d’optimiser la récolte des taxes.
Du temps de Youssef Chahed, Fayçal Derbel, à l’époque son conseiller économique, avait proposé une réforme du régime fiscal adressé aux forfaitaires axé sur deux critères : la nature de l’activité qui doit déterminer le taux d’imposition de la plus gratifiante à la moins gratifiante, mais aussi de la zone, qu’elle soit luxueuse, résidentielle ou luxueuse. Cette réforme a été rejetée par 2 fois par une ARP plus soucieuse de plaire aux lobbies que d’équité fiscale. Elle aurait donc pu être introduite cette année dans la Loi de Finances en l’absence d’une ARP handicapante !
Une amnistie qui gratifie les contrevenants et punit les « réglos » !
Quel message a voulu adresser l’Etat aux entreprises en décrétant une amnistie fiscale autorisant ceux qui exercent des activités non déclarées d’échapper aux pénalités et poursuites en payant 10% des sommes dues ?
Un peu d’histoire !
En 2019, on avait déjà décrété une amnistie fiscale presqu’aux mêmes conditions que celles ordonnées cette année. L’amnistie, qui doit être une mesure exceptionnelle, est devenue, dans le cas d’espèce, une amnistie récurrente gratifiant les contrevenants aux dépens des respectueux des lois.
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En 2019, le but était la régularisation de la situation fiscale dans l’immédiat sans attendre les résultats du contrôle fiscal qui pouvait s’étaler sur des années. Il ne s’agissait pas d’offrir des solutions faciles aux fraudeurs et aux contrevenants.
En décidant une seconde amnistie en si peu de temps, on perd en efficience et en capacité de dissuasion des fautifs, pénalisant ainsi les solvables. Le principe est qu’avant toute amnistie, il faut en amont des mesures définissant le cadre. Revoir les règles de jeu entre l’Administration et le contribuable en étendant, à titre d’exemple, la date de prescription de 4 ans à 10 ans ou en renforçant les sanctions pouvant aller jusqu’à des condamnations de prison en cas de récidive.
Pour la loi de finances 2022, il n’y a eu aucune mesure post-amnistie. C’est presque un appel à transgresser la loi.
Les amnisties qui ne sont pas bien réfléchies affaiblissent considérablement les réformes structurelles en violant brutalement l’équité fiscale et en créant des déséquilibres. «Imaginez deux opérateurs, déplore un expert. Le premier, travaillant dans la transparence, a fait un chiffre d’affaires de 100 millions de dinars. Il a payé 19% de TVA. Il a gagné 30 millions de dinars et il s’est acquitté de 35% d’impôts. Donc, 19% + 10,5% + 1% de FODEC, c’est 30,5%.
Le second, grâce à l’amnistie, se présente devant les services du fisc et régularise sa situation en donnant tout juste 10%. Est-ce juste ? Est-ce équitable ? ».
L’honnêteté est donc sacrifiée sur l’autel des amnisties fiscales à répétition sous prétexte que l’on veut récupérer les acteurs du marché informel. Est-ce la bonne solution ?
Tout d’abord, il n’est pas dit que ces derniers suivront la vague. Leur « informalité » leur procure éventuellement une certaine sécurité en l’absence de l’application de la loi. Mais si à force de communiquer – ce qui n’existe pas dans la réalité – on finit par convaincre, a-t-on prévu de les obliger à ouvrir une patente dès qu’ils déclarent leurs capitaux ? A-t-on mis en place une disposition les contraignant à garder leur argent dans des comptes bancaires sur 6 mois ou une année ou à les réinvestir ?
Les fonds amnistiés ne doivent pas, selon la loi, être le produit d’une activité criminelle. Comment vérifier cela : sur la foi des déclarations du contrevenant, qui doit procéder à la vérification, le banquier soumis à la règle KYC qui pourrait refuser d’assumer la responsabilité de fonds dont il n’a pas la traçabilité, les services du fisc ?
L’article 66 devrait, peut-être, être repensé ou complété dans le cadre d’une loi de finances complémentaire pour faciliter sa concrétisation sur le terrain.
En résumé, tout porte à croire que la Loi de Finances a été élaborée dans la précipitation, délai oblige, et qu’elle n’a pas suivi une ligne conductrice avec une trajectoire claire. On continue dans les mesurettes, les réformettes et les réponses ponctuelles à des problèmes structurels.
Oserons-nous espérer une loi de finances complémentaire plus judicieuse et plus percutante ?
Amel Belhadj Ali