Sortir de la logique comptable de la stabilisation macroéconomique – ayant trop marqué ces dernières années – vers une logique de relance de la croissance et de l’investissement. C’est la réponse qui devrait être apportée à la crise économique, estiment les intervenants au webinaire organisé samedi 8 janvier 2022 par le think tank ” Global Institute 4 Transitions ” (GI4T).
Oser réfléchir à la croissance
Ouvrant le débat sur le thème ” Et l’économie ! Où va-t-on ? “, l’ancien ministre des Finances, Hakim Ben Hammouda, a évoqué la grave convergence entre les dérives économiques et la crise politique, soulignant la difficulté, dans ce contexte, de se concentrer sur la résolution de la crise économique.
Mettant en garde contre le recul du débat public sur la question économique, Ben Hammouda a qualifié de réductrice l’approche limitant l’effort économique à la stabilisation macroéconomique. “Sans vouloir minimiser l’importance de stabiliser les équilibres économiques qui se sont beaucoup détériorés ces dernières années, je pense que, pour relancer le pays, il faut sortir des sentiers battus et oser réfléchir à la croissance et l’investissement”.
Trouver l’espace budgétaire nécessaire
De son côté, l’universitaire et économiste Fatma Marrakchi Charfi a rappelé les graves dérives des finances publiques, estimant que ” même en mettant en place les réformes maintes fois annoncées, on pourrait dégager un certain espace fiscal mais qui sera insuffisant pour relancer l’investissement “.
Mettant l’accent sur la nécessité de rebooster l’investissement aussi bien public que privé, l’universitaire considère qu'”il faut trouver l’espace budgétaire nécessaire, mais surtout adopter les bons mécanismes d’exécution qui font toujours défaut. Il faudrait également trouver la bonne approche pour relancer l’investissement privé, en améliorant le climat des affaires, en révisant la politique des autorisations et en s’attaquant aux situations de rente”.
Impact négatif de la suppression du régime suspensif de la TVA pour les SCI
Pour sa part, le gérant associé d’Ernst & Young EY Tunisie, Noureddine Hajji, estime que “la loi de finances 2022 ne comporte pas de mesures pouvant relancer l’investissement – clé de voûte pour relancer la croissance – ou redonner confiance aux investisseurs, hormis les quelques mesures de soutien à certaines entreprises face aux répercussions de la pandémie”.
Et d’enchaîner, ” mais la mesure qui fait le plus mal dans la LF 2022, c’est celle relative à la suppression du régime suspensif de la TVA pour les entreprises de services totalement exportatrices et les sociétés de commerce international. C’est une mesure qui pénalisera tout un pan de l’économie nationale qui va se trouver dans une situation de crédit chronique de TVA auprès de l’Etat”.
Hajji s’inquiète aussi de l’intention affichée par le gouvernement de généraliser cette mesure aux entreprises industrielles totalement exportatrices, assurant que ” ce serait la catastrophe “.
Etant donné que ” la fiscalité reste un levier important pour la relance de l’investissement, les investisseurs ont besoin d’un signal clair de stabilité fiscale. Il faut qu’il y ait une affirmation claire que le maintien, par exemple, des taux d’imposition des bénéfices des entreprises à 15% ou du taux de l’impôt sur les dividendes à 10% soit stabilisé”.
Toujours selon lui, il faudrait ” activer les instruments effectifs d’incitation à l’investissement, au réinvestissement et à l’innovation. Dans l’attente de la transition économique, le secteur privé a besoin d’une mise en confiance et d’une reconnaissance de la part des autorités. Il a aussi, besoin de règles claires pour être respectées. Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une véritable volonté d’aller dans ce sens, mais j’invite, tout de même, le secteur privé à tenir bon, à continuer à investir et à innover et à ne pas rester dans l’expectative, malgré le contexte hostile “.
Renforcer la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales
Participant au débat, l’économiste Abderrahmane Lahga a axé son intervention sur la nécessité de redresser les secteurs stratégiques (phosphate, agriculture) pour dégager plus de marges budgétaires, de renforcer la mobilisation des ressources à travers une lutte plus ferme contre la fraude et l’évasion fiscale et de revoir la répartition primaire de l’effort fiscal pour que le poids fiscal soit équitablement réparti et d’élargir l’assiette fiscale.
Dans l’optique d’une relance de l’investissement, Lahga met en exergue l’importance de rompre avec l’approche graduelle de la levée des obstacles entravant l’investissement, considérant que si des simplifications sont décidées sur le plan réglementaire ou procédural, celles-ci doivent être mises en œuvre immédiatement.
En matière de réformes structurelles, il propose d’axer l’effort sur les domaines de l’éducation et de la santé pour améliorer la qualité du capital humain, mais également sur les domaines de l’énergie et des ressources hydrauliques pour éviter les gaspillages.
“Toute réforme impliquant des perdants à court terme”, l’économiste considère qu’”il faut prévoir les mécanismes appropriés pour assurer une compensation à ces perdants, tout en leur mettant en confiance quant à l’utilité des réformes mises en place, sur le moyen et long termes”.
Plaidoyer pour une politique de l’offre
L’économiste et ancien ministre, Abderrazak Zouari, plaidera quant à lui pour une politique de l’offre, car “une politique de relance par la demande ne pourrait pas être envisagée dans un pays qui a besoin de stabiliser ses équilibres macroéconomiques, elle serait catastrophique pour la Tunisie “. “Une politique de l’offre nécessite une accumulation du capital physique, une nouvelle politique sectorielle axée sur les nouveaux secteurs, un gain de productivité et un saut technologique de la part du secteur privé ainsi qu’une meilleure formation du capital humain et des réformes institutionnelles”.
Le Global Institute 4 Transitions (GI4T) est un think tank indépendant, fondé en mai 2021 par l’ancien ministre tunisien des Finances, Hakim Ben Hammouda. C’est un lieu de réflexion, d’expertise et d’aide à la prise de décision publique et un espace d’échange pluriel et libre.