11 ans après le soulèvement/révolte du 14 janvier 2011, la situation de la Tunisie paraît impossible à gérer. Le « Global Risks Report 2022 » publié par le Forum économique mondial (World Economic Forum) la résume ainsi : Effondrement de l’Etat, crises de dette (Etat, entreprises privées et publiques, caisses sociales), montée du chômage et dégradation des conditions de vie, stagnation économique prolongée et prolifération des activités économiques illicites.
Pour ainsi dire, les indicateurs économiques de la Tunisie ne sont pas brillants :
- un taux de croissance de 0,3% en 2021, une inflation de 6,6% au mois de décembre 2021,
- un chômage de 18,4% au quatrième trimestre 2021,
- un déficit de la balance commerciale de 1,346 milliard de dinars au mois de novembre 2021,
- le nombre de chômeurs estimé au troisième trimestre 2021 s’élève à 762 600 du total de la population active, contre 746 400 chômeurs pour le premier trimestre 2021. Au troisième trimestre 2021, le taux de chômage a subi une augmentation de 0,5 point pour les deux sexes, dont 15,9% d’hommes et 24,1% de femmes.
Par conséquent, la « révolution » de la dignité n’a pas rendu les Tunisiens plus dignes, elle n’a pas procuré de l’emploi aux diplômés chômeurs, n’a pas permis à la Tunisie d’intégrer l’industrie 4.0 et n’a pas déniché les solutions adéquates au modèle de développement que les opposants structurels dénonçaient, nuit et jour, depuis la chute du régime Ben Ali. Opposants structurels plus brillants dans les discours démagogiques et les joutes verbales que dans la mise en place d’un projet politique et socioéconomique digne d’un pays tel que la Tunisie.
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Et jusqu’à aujourd’hui, alors qu’il y a péril réel en la demeure, ceux qui prétendent être des leaders mobilisent toutes leurs forces et dépensent toute leur énergie à défendre un ancien ministre d’Ennahdha mis en résidence surveillée par les autorités et sur lequel pèsent pourtant de lourdes charges. Se sont-ils mobilisés autant pour défendre les intérêts du pays ?
Nous ne les avons pas vus réagir avec autant de véhémence quant aux souffrances, au désespoir et désenchantement de toute une population, d’une jeunesse dépressive pour avoir perdu ses illusions en un avenir meilleur, une jeunesse qui ne rêve plus, qui n’espère plus et qui ne se projette plus dans son pays.
Nous ne les avons pas vus non plus s’indigner du départ à l’étranger de près de 100 000 compétences dégoûtées par leur exercice ou s’unir autour d’un projet socioéconomique visant un meilleur bien-être à leurs compatriotes.
Nous ne les avons pas vus également s’indigner avec autant d’abnégation contre la propagation de la violence, des stupéfiants et du terrorisme.
Nous ne les avons pas vus dénoncer le drame de centaines de milliers d’enfants analphabètes et sans éducation.
La Tunisie, devenue un fardeau pour le monde et à la traîne des pays arabo-musulmans, ne les a pas peinés. Ce sont ces opposants devenus gouvernants qui ont massacré le pays parce que tout ce qu’ils savent faire est s’opposer, détruire et profiter avec vénalité d’un système qu’ils ont infiltré et verrouillé. Un système qui sert tout juste leurs propres intérêts et qui a permis d’instaurer le non-Etat et l’occulte dans toutes ses dimensions.
Face aux mafieux politiques historiques, qu’avons-nous ?
Le 25 juillet 2021 : après l’euphorie, le désenchantement
L’histoire est un éternel recommencement ! La Tunisie avait accueilli le changement du 14 janvier 2011 presqu’avec extase, pour voir par la suite le pays se dégrader mois après mois, d’année après année. On a espéré un renouveau lorsque, le 25 juillet 2021, le président de la République, Kaïs Saïed, a décidé de geler l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Le peuple était éreinté par l’ambiance empoisonnée d’une ARP où nombre de députés légiféraient pour compte et offraient des spectacles désolants de dégradation morale et éthique !
Presque 7 mois n’ont pas apporté un balbutiement de prospérité au pays. Oui le président de la République est intègre et a les mains propres, mais est-ce les seules qualités dont doit se parer un chef d’Etat ? Le fait qu’il ait écarté du pouvoir les pires dirigeants qui soient de l’histoire de la Tunisie l’autorise-t-il à agir comme bon lui semble ? Ses discours tendus, loin d’être apaisants, aimants et rassurants, sont menaçants et offensifs par certains égards.
Ses déclarations outrageusement souverainistes et axées tout juste sur la lutte contre la corruption, jugeant, condamnant et mettant tout le monde dans le même sac, sont effrayantes et inquiétantes pour une communauté d’affaires exténuée par les années d’instabilité politique et les rackets à répétition des partis au pouvoir représentés par leurs hauts responsables.
Nous n’avons pas entendu beaucoup de déclarations sur la valeur travail, et d’appels à l’application de la loi sur tous ceux qui l’enfreignent y compris ceux faisant partie de la communauté ou de la secte du « Chaab yourid ».
Les discours du président de la République, censés être encourageants pour les agents de l’Etat, paralysent malheureusement les décideurs publics qui ne décident plus de peur des représailles de Carthage.
La confiance des investisseurs, qui pensaient l’Etat revenu, est aujourd’hui de nouveau érodée en raison de l’incertitude politique, de l’hostilité observée au niveau du haut de la pyramide de l’Etat à l’encontre des créateurs de richesses, des difficultés de financement et des progrès limités accomplis sur le front des réformes structurelles.
Quant aux relations avec le monde, nous ne pouvons prétendre qu’elles sont au beau fixe. Une diplomatie hésitante, presque capricieuse, une neutralité historique de la Tunisie compromise par des positions illogiques sur des conflits internationaux et régionaux, et une diplomatie économique absente.
La Tunisie ne jouit plus des préjugés favorables qui la distinguaient des autres pays arabo-musulmans. Faute de désarmer l’hostilité d’autrui à notre égard, le discours officiel l’exacerbe plutôt, oubliant l’importance stratégique de la coopération économique avec nos partenaires historiques.
Absence de vision, de plans d’action et de sérieux projets de restructuration politique et socioéconomiques, c’est ce qui caractérise la décennie post-14 janvier 2011 : l’effondrement de l’Etat. Un semblant d’Etat où on a l’impression que les maîtres des décisions politiques sont devenus les réseaux sociaux et des cercles d’influences plus préoccupés par des intérêts ponctuels et très personnels que par l’avenir du pays.
Les seuls moments de joie pour la Tunisie sont les réussites des jeunes et des compétences à l’échelle nationale ou internationale dans le sport, la haute technologie ou les performances scientifiques.
Quand est-ce que Kaïs Saïed, puisqu’il dispose de tous les pouvoirs, décidera-t-il de nous sortir du tunnel ?
Amel Belhadj Ali