L’universitaire et sociologue Riadh Zghal vient de publier un nouvel ouvrage de 454 pages sur la transition politique en Tunisie depuis 2011.
Intitulé «Le long processus de la transition : espoirs, frustration et résilience», l’ouvrage, qui est constitué d’un ensemble d’articles publiés et de notes enregistrées depuis 2011, se propose de répondre à deux soucis : celui de « tenter une lecture compréhensible des événements constatés, et celui de proposer des solutions possibles aux problématiques et surtout à celle de la préservation du processus de démocratisation à l’œuvre… ».
Préfacé par l’universitaire Ahmed Ben Hamouda, l’ouvrage est articulé autour de sept grands thèmes. Dans l’ordre, il s’agit de la révolte et les espoirs, désenchantements et questionnements, plaidoyer pour la démocratie, l’épreuve du vote, plaidoyer pour la décentralisation, contexte et développement économique, le capital humain en mal de valorisation : les femmes et les jeunes.
La révolte confisquée
Dans le chapitre du bilan qu’elle dresse de la transition politique engagée depuis 2011, l’auteure met l’accent sur les désenchantements des Tunisiens et sur les enseignements tirés par les analystes : « le vécu depuis l’instauration du nouveau régime politique sème un doute envahissant (…). A la base, les citoyens vivent insécurité, appauvrissement de franges sociales de plus en plus larges, pollution, dégradation de l’environnement, dégradation des services sociaux dont le plus stratégique qui est l’éducation… ».
Et l’auteure de s’arrêter sur certaines conclusions dont les constats d’« incompatibilités entre démocratie et islam, ou entre démocratie et sous-développement ».
Sur la base de ce constat, Riadh Zghal refuse que la Tunisie soit condamnée à l’autocratie, à l’inaction et à l’immobilisme.
Le besoin de liberté demeure
L’auteure, qui préfère le vocable “révolte“ à celui “révolution“, rappelle à ceux qui parlent d’incompatibilités «l’appel insistant des révoltés de 2011 pour la liberté. Ce besoin de liberté, note-t-elle, n’est-il pas une réaction à l’étouffement des voix citoyennes lorsqu’il s’agit d’exprimer une idée dissidente, celui de l’initiative bridée par un arsenal juridique pléthorique qui impose des autorisations sans fin et leur corollaire de corruption qui détourne l’application de la loi vers des intérêts particuliers».
Et Riadh Zghal d’interpeller les Tunisiens : « pourquoi aller chercher des justificatifs dans la religion et le sous-développement alors que le besoin de liberté s’est exprimé collectivement et fortement revendiqué par une catégorie sociale restée loin du pouvoir et, selon les cas, privés de ressources d’emplois et de vie décente ? ».
Dans son ouvrage, Riadh Zghal fait mention également de l’émergence d’autres courants : « Parallèlement à ce déni de la démocratie possible et à portée de main après la révolte, apparaît un autre courant animé par le souci de sauvegarder l’élan révolutionnaire et par la crainte d’une éventuelle restauration du régime déchu ».
Les pistes pour réinventer la Tunisie
Au rayon des solutions qui se fondent pour la plupart sur l’enjeu de réinventer le pays, l’ouvrage propose plusieurs pistes à explorer.
Dans cette perspective, l’auteure se prononce pour la crédibilité du leadership et pour la mise en place de structures véritablement démocratiques avec l’exigence de bonne gouvernance, l’intégration dans un groupement régional fort (Union du Maghreb arabe…) et l’amélioration de la qualité du pouvoir par le savoir. Et pour cause : « le pouvoir fondé sur le savoir est essentiellement démocratique, car la valeur du savoir réside dans son partage et sa dissémination au niveau d’une communauté si réduite soit-elle ».
Elle propose, également, une refondation de l’Etat et une migration de cette institution vers un « mieux d’Etat ». L’Etat souhaité serait « un Etat médiateur, facilitateur, stimulateur de dynamisme, des institutions et de la société et de la société civile, mais aussi un Etat exemplaire qui montre la voie vers l’excellence dans la gestion des affaires… ».
Autre proposition : l’auteure suggère une meilleure gestion des ressources humaines comme principale source de création de richesses. Et l’essayiste de préciser sa pensée : « Les concepts d’éducation et de formation devraient être davantage orientés -en plus d’une culture générale nécessaire au bon jugement- vers le développement de compétences effectives et non la multiplication de titres pompeux ».
Et pour ne rien oublier, l’ouvrage, qui consacre une bonne partie aux jeunes et aux femmes et à leur rôle dans l’ancrage de traditions démocratiques, recommande de recourir intensivement à la communication et à la pédagogie pour mieux expliquer démocratie, décentralisation, développement inclusif…
In fine, l’ouvrage, qui constitue indéniablement un témoignage d’une tranche déterminante de l’Histoire de la Tunisie, mérite qu’on s’y attarde. Et comme le dit si bien l’universitaire Ahmed Ben Hamouda dans la préface : « j’aime les intellectuels qui alertent, qui poussent à sortir des torpeurs et qui, à l’instar de notre auteure, inspirent ».