Une certitude : la dette tunisienne est devenue insoutenable. Perceptible à travers le recours, depuis dix ans au Fonds monétaire international (FMI) pour mobiliser des crédits, cette insoutenabilité signifie que le pays est devenu incapable de continuer à emprunter et à pouvoir investir et se développer en même temps.

Abou SARRA

Elle est estimée à plus de 110% du PIB si on tient compte des dettes des entreprises publiques et d’autres mécanismes d’endettement dont les garanties de l’Etat.

La dette tunisienne est insoutenable

Autrement dit, la situation de la dette tunisienne serait alarmante, parce que le PIB de la Tunisie, évalué officiellement à 39,34 milliards de dollars (100 milliards de dinars), « suffit à peine à faire vivre 4 millions de Tunisiens sur une population totale de plus de 11,8 millions d’habitants », selon l’ancien ministre Faouzi Abderrahmane.

Encore plus grave, « chaque bébé est redevable, dès sa naissance, d’une dette de plus de 6 500 dinars, contre 2 400 dinars en 2010 », d’après Taoufik Baccar, ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT).

Conséquence : le gouvernement Najla Bouden peine, aujourd’hui, à mobiliser des prêts auprès des bailleurs de fonds partenaires de la Tunisie. La Tunisie a également de la peine pour recourir au marché financier international pour emprunter à des conditions favorables en raison des dégradations successives de la notation du risque souverain de la Tunisie, une dizaine de fois depuis 2011.

La dernière baisse remonte à la mi-octobre 2021. L’agence de notation américaine Moody’s avait abaissé, rappelons-le, la note souveraine de la Tunisie de B3 à Caa1, et maintenu la perspective négative.

Tout d’abord, un audit s’impose

Pour délimiter les responsabilités à l’origine de cette situation, le président de la République, Kaïs Saïed, a décidé, le 28 octobre 2021, de faire auditer la dette tunisienne, et de tous les dons au cours des dernières années.

Les résultats de cet audit devraient être publiés… dans un souci de transparence et de consécration de la redevabilité.

Cette décision et ses éventuelles conséquences viennent d’être appuyées par des recommandations émises, à cette fin, le 9 janvier 2022 par la Banque mondiale.

Dans un article rédigé par Marcello de Moura Estevão Filho, directeur mondial “macroéconomie, commerce et investissement“ du Groupe de la Banque mondiale, propose quatre recettes pour aider les pays surendettés, comme la Tunisie, à améliorer la gestion de leur endettement.

Recommandations de la Banque mondiale

La première consiste pour ces pays à investir dans la transparence des données. Il s’agit de disposer, en amont, des systèmes nécessaires pour produire des données d’endettement exactes, et de résoudre, en val, les problèmes opérationnels qui entravent la publication régulière de rapports exhaustifs sur la dette.

La deuxième recette porte sur l’enjeu de faire en sorte que le cadre juridique incite davantage à la transparence. Le cadre juridique de gestion de la dette doit définir clairement les modalités d’autorisation d’endettement et imposer la publication des informations relatives à la dette publique en en précisant la teneur et la fréquence. Ce cadre doit aussi comprendre la liste des instruments d’emprunt, transactions et sources de financement autorisés et prévoir des audits périodiques de l’encours de la dette.

La troisième recommande une meilleure gestion de la dette intérieure et rappelle que « pour encourager les réformes sur ce point, elle a récemment lancé un outil de suivi de la transparence des émissions de titres publics ».

La quatrième et dernière recommandation a trait à l’application d’un processus rigoureux d’analyse et de contrôle de l’approbation et de la mise en œuvre des prêts adossés à des ressources naturelles.

Ce processus, note la Banque, doit comprendre quatre étapes: évaluer avec soin l’effet sur la viabilité, vérifier que les conditions proposées tiennent bien compte de la valeur de la garantie, s’assurer que les composantes juridiques et techniques de la structure proposée sont correctement prises en compte, et évaluer avec soin l’éventuel impact de l’octroi d’une garantie sur d’autres financements, compte tenu de la stratégie nationale de gestion de la dette.

Responsabiliser les créanciers

Abstraction faite de ces recettes, l’auteur de l’article fait une mention spéciale pour la responsabilité des créanciers. Ces derniers, relève Marcello de Moura Estevão Filho, «peuvent aussi favoriser des pratiques de financement plus transparentes en donnant des informations détaillées sur leur propre portefeuille de prêts. Il leur incombe de limiter le recours aux clauses de confidentialité et de proscrire le secret. Ils se doivent de publier des informations détaillées sur les portefeuilles de prêts, comme le préconisent les directives opérationnelles du G20 pour un financement durable ».

Plaidoyer pour la création de l’Agence Tunisie Trésor

Nous pensons que les recommandations de la Banque mondiale tout autant que la décision d’auditer la dette tunisienne justifient amplement l’impératif de dépoussiérer un ancien projet de six ans, en l’occurrence la création d’une agence spécialisée dans la gestion de la dette, à l’instar de l’Agence France Trésor.

La mission de cette agence consistera à assurer la supervision des émissions du Trésor, la gestion de la dette publique et la maîtrise de la gestion des liquidités de l’Etat.

Officiellement, l’ultime objectif est d’optimiser l’emploi des ressources d’emprunt, à l’instar des expériences réussies dans d’autres pays.