Impactés dramatiquement, depuis 2020, par la pandémie du coronavirus, peu soutenus par les banques dans cette épreuve et diabolisés par le chef de l’Etat, Kaïs Saïed (même s’il a toujours précisé qu’il ne vise pas les patrons transparents et corrects avec le fisc), les hommes d’affaires tunisiens semblent avoir mis à profit l’enquête de perception menée, au mois de mai 2021, par le Forum économique mondial (FEM), pour faire entendre leur désarroi et ras-le bol. C’est l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), partenaire officiel du FEM et allié inconditionnel du privé tunisien, qui a piloté l’enquête pour la partie tunisienne.
Abou SARRA
Les résultats de cette enquête ont été publiés, le 11 janvier 2022, dans la 17ème édition du rapport du World Economic Forum (WEF, ex-Forum de Davos) sur les risques mondiaux que peuvent connaître 124 pays listés.
Les cinq risques qu’encourt la Tunisie selon ses hommes d’affaires
Pour le cas de la Tunisie, les répondants à cette enquête nous apprennent que notre pays serait exposé, au cours des deux prochaines années, à cinq risques, voire à cinq crises majeures. Dans l’ordre, l’effondrement de l’Etat, la crise de la dette, le chômage, le prolongement de la stagnation de l’économie, la prolifération des activités économiques illicites.
Commentés sur les plateaux audiovisuels, des experts ont joué les Cassandre. Ils ont non seulement confirmé les appréhensions-perceptions des hommes d’affaires sondés mais ont mis leur grain de sel en prédisant, en toute conscience, la Tunisie faillite imminente, chaos et désordre généralisé.
S’exprimant sur la chaîne de télévision privée Attessa, l’expert Ezzedine Saïdane –encore lui- est allé jusqu’à avancer que la «Tunisie va droit dans le mur».
Cependant, cette lecture linéaire des experts tunisiens est battue en brèche, au cours de la même période de publication des résultats de cette enquête, par un témoignage d’un des meilleurs observateurs internationaux de l’économie tunisienne, en l’occurrence Jérôme Vacher, représentant du FMI en Tunisie.
Le FMI ne voit pas des risques de faillite
Dans une interview accordée à l’Agence France presse, le 16 janvier 2022, Vacher a déclaré qu’« on ne peut pas dire comme certains l’assurent que la Tunisie serait au bord de la faillite financière : il y a une gestion budgétaire qui se fait et s’adapte à la situation, pas forcément optimale mais gérable ». Entendre par-là que la Tunisie est certes en difficulté mais n’est pas en faillite.
Avec des réserves en devises établies à 7,998 milliards de dollars… on ne peut dire que le pays est en faillite et au point de frapper à la porte du Club de Paris
Abstraction faite de ce témoignage édifiant et rassurant du représentant du FMI, le scénario selon lequel la Tunisie serait au bord de la faillite et l’Etat tunisien serait sur le point de s’effondrer, est quelque peu exagéré.
Concernant le premier point, la Tunisie n’est pas au bord de la faillite pour une simple raison. C’est à la limite une question de bon sens. Avec des réserves en devises établies, à fin décembre 2021, à 7,998 milliards de dollars (environ 23,066 milliards de dinars), soit 136 jours d’importation, on ne peut dire que le pays est en faillite et sur le point de frapper à la porte du Club de Paris pour rééchelonner sa dette.
Pour mémoire, la seule fois où la Tunisie était au bord de la faillite remonte à 1986. A cette époque, les réserves en devises ne pouvaient couvrir que trois jours d’importation –bien trois jours-, ce qui avait poussé la Tunisie à adopter, avec un financement du FMI, le fameux Plan d’ajustement structurel (PAS).
Pour une analyse approfondie du cas Tunisie
S’agissant du scénario de l’effondrement de l’Etat tunisien, ceux qui défendent ce projet font une lecture linéaire des perceptions des hommes d’affaires tunisiens sondés. Ils oublient que la Tunisie revient de très loin après le 25 juillet 2021. Il est peut-être utile de leur rappeler que le pays a connu, depuis 2011, d’importants nouveaux fléaux et crises et payé cher le prix.
Le premier fléau a été incontestablement l’accès de l’islam politique au pouvoir et son penchant pour le surendettement et la démocratisation de la corruption.
D’après Jérôme Vacher, la Tunisie a connu, à cause de la Covid-19, sa plus grave récession depuis l’indépendance, chute de 9% de son PIB
Vient ensuite le terrorisme qui a prévalu dans le pays, depuis 2011, avec comme corollaire le renforcement des budgets de l’armée et des forces sécuritaire, et le recul d’un des premiers secteurs pourvoyeurs de devises du pays, le tourisme.
Mention spéciale également pour la guerre civile en Libye. Cette guerre fratricide a privé la Tunisie, depuis 2011, d’un excédent commercial à son avantage de 2 milliards de dinars environ.
Et pour ne rien oublier, la pandémie du coronavirus qui a affecté l’économie du pays depuis fin 2019. D’après Jérôme Vacher, « la Tunisie a connu, à cause de la Covid-19, sa plus grave récession depuis l’indépendance, chute de 9% de son PIB ».
Il a ajouté un détail de taille. Selon lui, “les maux du pays étaient préexistants, en particulier les déficits budgétaires et une dette publique (près de 100% du PIB fin 2021) qui se sont aggravés”.
Morale de l’histoire : les difficultés que connaît actuellement la Tunisie sont multiformes et complexes. Au regard des analyses des uns et des autres, il nous semble que les partenaires de la Tunisie connaissent mieux ses problèmes et sont souvent plus cléments à son endroit que ses propres experts et analystes.