Dès le départ, le coup de force constitutionnel du 25 juillet 2021 du chef de l’Etat tunisien, Kaïs Saïed, n’a jamais été du goût de Gordon Gray, ancien ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique en Tunisie (2009-2012). Dans plusieurs posts sur son compte Tweeter, l’ancien diplomate à la retraite depuis 2015 a critiqué de manière violente cet acte de rupture et y a perçu un signe de retour de la Tunisie à l’autoritarisme.
Abou SARRA
Dans un post plus récent, Gordon Gray, qui semble suivre de près le développement de la situation en Tunisie, a réagi, le 24 janvier 2022, à la démission/limogeage de la cheffe du cabinet présidentiel, Nadia Akacha. Il y a vu « un développement intéressant dans le pays ».
Mieux, il s’est aventuré à faire sienne la raison de son limogeage invoquée par l’agence Reuters : Akacha était contre la décision prise par le ministère de l’Intérieur relative à la mise en retraite forcée de 6 hauts responsable dont un ancien chef de renseignements. Mais sérieusement, cela peut-il être une raison pour démissionner d’un poste aussi important que celui de « directrice du cabinet présidentiel » ?
Gordon Gray suit l’évolution de la situation en Tunisie
Dans un autre post publié à la même période, Gordon Gray a relevé avoir remarqué, en août 2021, que «Kaïs Saïed était sur les traces de Ben Ali», et qu’il a, à l’époque, émis l’«espoir que Saïed arrête d’imiter Ben Ali».
Il a ajouté en substance que maintenant avec le mépris affiché par Saïed pour les institutions démocratiques et avec son désintérêt pour les problèmes économiques, il s’est avéré que ses appréhensions étaient fondées.
L’ancien ambassadeur des Etats-Unis en Tunisie fait allusion ici à un long article publié le 5 août 2021 par un média tunisien. Dans cet article, Gordon Gray s’inquiète particulièrement de l’issue du processus du 25 juillet 2021.
Dans cet article, intitulé « Quelle est la suite ? », Gordon Gray estime que « l’issue est incertaine et susceptible d’avoir des répercussions à long terme bien au-delà de ses frontières… Ces répercussions affecteront les intérêts américains, que cela nous plaise ou non ».
Il a également fortement critiqué l’ambiguïté et la mollesse de la réaction du département d’Etat.
En effet, écrit-il, «la priorité accordée par l’administration Biden à la situation en Tunisie n’est pas non plus claire. La déclaration du 26 juillet (2021) du Département d’État a peut-être dit toutes les bonnes choses sur les normes démocratiques, mais toute déclaration qui commence par “[nous] suivons de près l’évolution de la situation” est condamnée à être perçue comme tiède ».
Il s’est déclaré par contre satisfait de « l’appel du conseiller à la sécurité nationale des États-Unis à Saïed, le 31 juillet ». Il pense que cet appel « était plus pointu puisqu’il mettait l’accent sur le besoin crucial pour les dirigeants tunisiens d’esquisser un retour rapide à la voie démocratique de la Tunisie ».
Dans cet article, Gordon Gray n’a pas été tendre avec Kaïs Saïed. Pour lui, il reste « une énigme. Il n’est pas clair s’il improvise ou s’il a une stratégie à long terme pour naviguer dans la crise qui engloutit la Tunisie ».
Gordon Gray demeure un personnage influent
Gordon Gray évolue actuellement en tant que chercheur principal (Senior Fellow) au Center for american progress, un think tank de tendance progressiste qui se propose de devenir, à l’instar d’Heritage Foundation pour les conservateurs républicains, le groupe de réflexion le plus influent pour le clan démocrate.
Il est également chercheur non résident à l’Institute for the Study of Diplomacy de Georgetown qui a publié en 2017 son étude de cas sur la Tunisie et le début du Printemps arabe…
Fondé en 1978, l’Institut pour l’étude de la diplomatie rassemble des étudiants, universitaires et autres praticiens de toute l’université pour explorer les défis mondiaux et l’évolution des exigences de l’art diplomatique.
Cela pour dire que l’ancien diplomate, qui a joué au temps du président démocrate Barack Obama et sa cheffe du département d’Etat, Hilary Clinton, un rôle déterminant dans le déclenchement, à partir de la Tunisie, de ce qu’on appelle le Printemps arabe et son sinistre corollaire, l’accès de l’islam politique au pouvoir, donne l’impression, à travers ses posts, qu’il continue au bien-fondé de ce projet.
Son aversion pour la dictature de Ben Ali est telle qu’il n’hésite pas de s’ingérer dans les affaires intérieures du pays et de tirer à boulets rouges sur ces symboles. Ainsi, au mois d’avril 2021, il s’est même permis d’accuser la présidente du PDL, Abir Moussi « d’être une partie du problème du pays », assurant qu’« elle est en train de mener de fréquentes protestations qui gênent le travail de l’ARP ».
Il s’est aussi permis de la qualifier de « démagogue » et de se plaindre qu’elle soit en train de rallier à sa cause beaucoup de Tunisiens.
La Troïka et le président provisoire de l’époque lui étaient très reconnaissants. Le 4 juillet 2012, le président Marzouki lui a décerné la plus haute décoration civile que la Tunisie accorde aux étrangers, le «Grand Officier de l’Ordre de la République».
Moralité de l’histoire : en tant que chercheur et formateur dans deux thinks tank prestigieux démocrates tels que le Center for american progress l’Institute for the Study of Diplomacy de Georgetown, Gordon gray demeure un personnage important et influent dans l’équipe du président démocrate Joe Byden.
Il n’est pas étonnant que les mercenaires lobbyistes d’Ennahdha l’aient contacté pour faire prévaloir leurs intérêts auprès de l’équipe Byden.
Cependant, nous nous posons la question de savoir s’il avait agi – ne reste que dans l’ombre – pour desserrer l’étau autour des Tunisiens en matière de libertés fondamentale lorsqu’il était en poste ici en Tunisie.