En ce début d’année, la communauté de créanciers, banques, sociétés de leasing, gros distributeurs de biens et de services… a reçu un très joli cadeau de la part du gouvernement de Najla Bouden. En effet, par le biais d’un décret publié le 5 janvier dans le JORT sur les sociétés d’information sur le crédit, elles vont se doter de « détectives privés » pour s’assurer dorénavant de la bancabilité, solvabilité et capacité de remboursement de leurs clients.
Abou SARRA
Signée le 18 novembre 2021 par le chef de l’Etat Kaïs Saïed, lors d’un conseil ministériel, cette nouvelle législation sur les sociétés d’information sur le crédit, dénommées également “bureaux d’information de crédit (BIC), ou agences d’évaluation du crédit, va habiliter des privés jouissant d’un agrément de la BCT et d’un capital minimum de 3 millions de dinars (MDT) de rechercher et de collecter des informations devant prouver la solvabilité ou l’insolvabilité de demandeurs de crédit (personnes physiques et morales).
Collectées aux frais du demandeur du prêt ou de facilités de paiement, ces informations sont obtenues auprès de fournisseurs de données. Ces derniers peuvent être des créanciers, débiteurs, agences de recouvrement de créances, vendeurs ou structures disposant d’archives publiques (archives judiciaires accessibles au public), prestataires publics (historique des paiements sur les factures de téléphone portable, électricité, eau potable, internet… les factures de services publics, le loyer, agence de propriété foncière…
Comment vont fonctionner ces sociétés d’information sur le crédit
Les informations sont consignées, ensuite, dans un rapport vendu aux émetteurs de crédit moyennant également des frais. L’ultime but est d’aider les créanciers à se prémunir contre le risque d’impayés et de disposer, à cette fin, des informations pertinentes dont ils ont besoin pour prendre des décisions de prêt. Les clients types de ces sociétés comprennent les banques, les prêteurs hypothécaires, les émetteurs de cartes de crédit, les sociétés de recouvrement des créances, les commerçants s’adonnant aux ventes avec facilités de paiement, les institutions de microfinance, les compagnies d’assurance…
L’information sur le crédit est par exemple très utilisée aux Etats-Unis mais fortement contestée dans plusieurs pays européens, dont la France entre autres.
Signalons toutefois ici que ces sociétés ne sont pas chargées de décider si un individu doit ou non bénéficier d’un crédit. Elles se contentent de collecter et de synthétiser des informations dans ce qu’elles appellent « la cote de crédit », une sorte de note ou de score de solvabilité calculé en fonction des antécédents de crédit d’un individu ou d’une entreprise. Les informations sont ensuite transmises aux établissements de crédit.
La sécurité est assurée, mais vigilance…
Au rayon de la sécurité et de la confidentialité des informations recueillies, la nouvelle législation exige des sociétés d’information sur le crédit l’obtention d’un agrément de l’Instance nationale de protection des données à  caractère personnel (INPDP). Elle les soumet également, du moins selon le texte, à un contrôle sur place et à un contrôle sur pièces effectués par des agents de la Banque centrale de Tunisie.
Mieux, elle les assujettit à un contrôle de leurs systèmes d’information par l’Agence nationale de la sécurité informatique (ANSI). Cette dernière est tenue d’informer la BCT de toute infraction constatée par tout moyen laissant une trace écrite.
Par ailleurs et à leur niveau, les sociétés d’information sur le crédit s’engagent à mettre en place et à appliquer des procédures garantissant la protection et la sécurité de leurs systèmes et bases de données. Le but est de dissuader, toujours en principe, tout accès à leurs systèmes d’information ou de modifications de ces renseignements.
Par-delà de cette mission qui lui est impartie aux fins de circonscrire tout risque d’insolvabilité et de dissuader les impayés, l’information sur le crédit telle qu’elle est régie par la nouvelle législation comporte cependant des désavantages certains pour le demandeur de crédit.
Le premier désavantage consiste en le fait que le demandeur de crédit paye les frais de la collecte des informations sur lui par ces sociétés d’information sur le crédit.
Le deuxième a trait à l’impossibilité pour ce même demandeur de crédit de disposer d’une copie du rapport transmis par ces bureaux de crédit aux établissements de crédit.
Le troisième porte sur le risque possible, comme cela a eu lieu dans certains pays, de fuites des données confidentielles vers d’autres sources autres que celle pour lesquelles elles sont normalement destinées.
Cela pour dire au final que cette nouvelle législation pourrait certes contribuer à la “moralisation“ des transactions financières et leur transparence, mais elle risque de provoquer des fuites indésirables.
Alors vigilance.