Sous le titre évocateur « La douleur économique menace le chaos social et politique en Tunisie » (en anglais : Economic pain threatens social and political chaos in Tunisia), l’agence Reuters pense que le président Kaïs Saïed ne va pas réussir à “refaire la politique tunisienne“. Et ce parce qu’il est pris entre le marteau des réformes qui peuvent s’avérer “douloureuses“ et un “spectre des troubles“ sociaux.
Pour le correspondant de Reuters en Tunisie et auteur de l’article, Tarak Amara, la Tunisie « a besoin d’un plan de sauvetage international pour éviter un effondrement désastreux des finances publiques, certains salaires de l’État étant retardés en janvier. Mais alors que le temps presse, les donateurs disent que Saïed n’a pas fait assez pour les embarquer ».
Le journaliste indique qu’ils (les donateurs) veulent que le chef de l’Etat tunisien «… adopte un processus politique plus inclusif pour assurer la survie de la jeune démocratie tunisienne et conclue un accord publiquement reconnu avec ses principaux rivaux sur des réformes économiques impopulaires pour maîtriser les dépenses et la dette ».
Toutefois, il semble convaincu que « les coûts d’un échec pourraient être catastrophiques – de terribles difficultés pour les Tunisiens, un glissement vers une autocratie à part entière ou une explosion sociale qui pourrait enflammer une crise migratoire et créer des opportunités pour les militants ».
Liberté d’expression respectée…
Il rappelle aussi que « Kaïs Saïed fait déjà face à une opposition plus audacieuse qu’à n’importe quel moment depuis ses mesures de juillet (2021, ndlr) pour suspendre le Parlement et renvoyer le Premier ministre, mais une forte baisse du niveau de vie pourrait provoquer des troubles majeurs parmi un peuple déjà malade d’années de stagnation ».
Plus loin, le journaliste, tout en reconnaissant qu’« il n’y pas eu de grande répression de la liberté d’expression ou de grande campagne d’arrestations », estime cependant qu’« il y a eu récemment des indices d’une attitude plus agressive envers la dissidence, notamment la détention d’une figure de l’opposition et la répression sévère d’une manifestation ».
Des partis politiques pas vraiment populaires…
Par ailleurs, Reuters écrit que « la principale opposition de Saïed, les grands partis au Parlement, sont eux-mêmes profondément impopulaires et les Tunisiens semblent amèrement divisés sur leurs dirigeants… ».
Ainsi, « tout indique une année volatile pour les Tunisiens, qui tentent toujours de résoudre le casse-tête d’un président dont l’approche intransigeante mais non conventionnelle a souvent mystifié ses partisans, ses opposants et ses alliés étrangers ».
Une feuille de route sous la pression…
Tarak Amara rappelle également que le président tunisien s’est résolu à annoncer « une feuille de route pour sortir de la crise en décembre », et «lançant une consultation en ligne pour une nouvelle Constitution qu’il dit qu’un comité d’experts élaborera avant un référendum en juillet… ».
Or, le journaliste affirme que «… les donateurs ne pensent pas que ces mesures répondent à elles seules à leur appel à un retour à l’ordre constitutionnel normal par le biais d’un processus inclusif et souhaitent voir le puissant syndicat et les principaux partis politiques directement impliqués ».
Négociations avec le FMI…
Cela n’empêche, le gouvernement du président «… cherche un plan de sauvetage du Fonds monétaire international (FMI), que le ministre des Finances dit espérer obtenir d’ici avril, qui est nécessaire pour débloquer presque toute autre aide bilatérale ». Or, « les donateurs pensent qu’un accord est très peu probable avant l’été, un délai qui pourrait être trop tard pour éviter de graves problèmes, notamment la pression sur la monnaie, le paiement des salaires de l’État et l’importation de certains produits de base subventionnés ».
Amara souligne également que « l’économie est une source constante de malaise public, bien que les opinions sur la manière dont le président traite la question divergent. Les Tunisiens se plaignent déjà des pénuries de certains produits comme le sucre et le riz ».
Pessimisme vs optimisme
Pour étayer ces divergences, il cette deux déclarations, celle d’une enseignante à Tunis qui souligne avec inquiétude que “La démocratie s’effondre de jour en jour. Les prix ont fortement augmenté. Les salaires sont moins sûrs chaque mois”, et celle d’un citoyen résident à Tunis, lequel est moins pessimiste et comprend le président de la République : “Le président a besoin de temps. Il essaie de reconstruire un Etat qui était brisé lorsqu’il a pris le pouvoir”.
Pour Tarak Amara, si «… la présentation initiale de la Tunisie au FMI a été qualifiée de satisfaisante, les donateurs ont estimé qu’elle manquait à la fois de détails et – surtout – de l’adhésion politique inclusive nécessaire pour mener à bien les réformes promises ».
Du coup, la rencontre pour la première fois depuis juillet 2021 entre Kaïs Saïed et Noureddine Taboubi en janvier n’indique pas que « le président ou le syndicat sont disposés à soutenir publiquement des réformes à l’échelle nécessaire pour l’aide du FMI ».
Il convient de souligner qu’une partie de l’élite politique s’est opposée à la confiscation du pouvoir par la force, mais force est de constater aussi que «… les protestations jusqu’à présent ont été relativement modestes par rapport aux normes historiques. Une crise économique de l’ampleur de celles du Liban ou du Venezuela – dont le gouverneur de la banque centrale a mis en garde il y a un an – provoquerait probablement de graves troubles », écrit le journaliste.
Ceci étant, le journaliste de Reuters pense que «… des troubles majeurs ou des manifestations de masse contre le président pourraient le tester. Les groupes de défense des droits sont préoccupés par l’utilisation continue des tribunaux militaires pour les civils, par les arrestations de certaines personnalités de l’opposition et par une atteinte apparente à l’indépendance judiciaire ».
Quid de l’éviction de Nadia Akacha ?
Dans cet ordre d’idées, Amara souligne qu’«une source distincte proche de la présidence a déclaré que des problèmes de sécurité étaient à l’origine de l’éviction de la principale assistante de Saïed, Nadia Akacha, qui a démissionné le mois dernier. La source a déclaré que l’establishment de la sécurité souhaitait “une approche forte pour imposer ce qu’il veut” ».
Toujours selon lui, des « diplomates avertissent qu’un échec de la tentative de Saïed de refaire la politique pourrait ne pas conduire à un retour à une démocratie complète, mais à une autocratie plus effrontée émergeant des cendres économiques du soulèvement de 2011 ».