Ces derniers temps, les présidents tunisien et algérien, respectivement Kaïs Saïed et Abdelmadjid Tebboune, rivalisent en zèle et en détermination en matière de lutte contre la spéculation.
Abou SARRA
Face à la recrudescence des crises et tensions successives sur plusieurs produits de première nécessité (produits agricoles, produits avicoles, huile de table, pain…), et face à l’absence de réaction des partis politiques et de la société civile dans les deux pays, les deux chefs d’Etat ont décidé de prendre les choses en main.
L’enjeu est de taille dans la mesure où la hausse des prix a touché essentiellement les produits alimentaires que les couches les plus vulnérables consomment le plus. Et l’Histoire nous apprend que la baisse, au-delà d’un certain seuil, du pouvoir d’achat de ces catégories sociales peut générer des insurrections spontanées parfois incontrôlables.
C’est dans la perspective d’anticiper sur d’éventuelles tensions sociales, qu’à Tunis comme à Alger, Saïed et Tebboune ont décidé de mener une guerre sans merci contre la spéculation. Ils ne ratent aucune sortie en public sans tirer des boulets rouges sur les spéculateurs, n’hésitant pas à les qualifier de tous les noms.
Diabolisation des spéculateurs
Pour Kaïs Saïed, « ceux qui pratiquent la spéculation doivent être poursuivis comme des criminels de guerre ». Il estime que « tous les citoyens étaient égaux devant la loi », faisant savoir que « les contrevenants et les parties qui les protègent et œuvrent à aggraver la situation socioéconomique du pays assumeront pleinement leurs responsabilités ».
La dernière fois où le chef de l’Etat s’est pris violemment aux spéculateurs, c’était lors du conseil des ministres du 27 janvier 2022. Au regard de la terminologie de guerre utilisée, on a l’impression que Kaïs Saïed en fait une affaire personnelle.
A son tour, Abdelmadjid Tebboune estime que la spéculation est la “pire ennemie” de l’économie algérienne. Dans ce cadre, il a qualifié les spéculateurs d’« écornifleurs » et de « parasites ». Il a insisté sur l’impératif de « responsabiliser la société civile et les médias dans la lutte contre les pratiques commerciales déloyales » et d’« encourager la rationalisation de la consommation pour lutter contre les parties qui tentent d’augmenter les prix pour susciter le chaos et semer le désespoir ».
Durcissement des sanctions
Dans leur stratégie de lutte contre ce fléau, les deux chefs d’Etat semblent opter pour la dissuasion. Ils ont décidé d’agir sur la législation et de promulguer des lois particulièrement sévères.
Pour ce faire, du côté tunisien, Kaïs Saïed, qui concentre depuis le 25 juillet 2022, tous les pouvoirs, a ordonné, début novembre 2021, l’élaboration d’un décret-loi devant réglementer, de manière plus rigoureuse, les opérations de collecte, de transport et de stockage des produits agricoles et de pêche (s’agissant ici des entrepôts frigorifiques).
Point d’orgue de cette législation : celle-ci prévoit le durcissement des sanctions en cas de sa violation. Ainsi, elle inflige à ceux qui transgressent la loi des amendes allant de 1 000 dinars à 300 000 dinars, et ce en plus de la valeur des produits saisis. Des peines d’emprisonnement allant de un mois à un an sont également prévues.
En Algérie, lors d’une réunion du conseil des ministres sur une nouvelle législation incriminant la spéculation, Abdelmadjid Tebboune a également recommandé « de revoir le code pénal pour prévoir une peine maximale allant jusqu’à 30 ans de prison et la perpétuité pour les individus impliqués dans le crime de la spéculation ».
A l’origine de ce fléau
A l’origine de la recrudescence de la spéculation, et son corollaire, la hausse des prix, deux activités sont pointées du doigt : le stockage réfrigéré et l’intermédiation. Ces deux métiers ne seraient pas transparents et n’utiliseraient pas les circuits officiels.
Tout en faisant la distinction entre le stockage organisé à des fins commerciales et le stockage visant à créer la pénurie ou engendrer une hausse des prix, Tunisiens et Algériens ont, certes, aggravé les pénalités à l’encontre des spéculateurs mais ont également décidé, dans une première étape, de numériser les circuits de distribution dans l’ultime objectif de garantir la traçabilité des produits et d’en faciliter le contrôle.
Les observateurs pensent de leur côté que Tunis et Alger ont tout intérêt à travailler, parallèlement aux mesures prises, sur l’harmonisation de leurs politiques commerciales, car une des niches dont se nourrissent les spéculateurs c’est la contrebande des produits alimentaires subventionnés.
A rappeler que cette même contrebande est “tolérée“ aux frontières, de part et d’autre.