Avant le 14 janvier 2011, la situation économique de la Tunisie ne figurait pas parmi les pays les plus prospères mais la qualité de vie était meilleure et le pouvoir d’achat permettait à une classe moyenne de vivre convenablement. Le pays n’était pas dévasté par un endettement excessif à tel point qu’il en écorche la souveraineté nationale.
Aujourd’hui, nous assistons à un effondrement spectaculaire des indicateurs macro-économiques. Ceux sociaux sont aussi fortement dégradés et le taux de pauvreté est passé à 21% avec un taux de chômage atteignant les 18,4% de la population active. Et le comble, une dette publique qui atteint les 100 milliards de dinars, soit 100% du PIB.
Par Rafik CHELLY
Comment se fait-il que la Tunisie, que l’on croyait stable dotée de bons fondamentaux économiques, se soit effondrée à ce point ?
Au temps de Ben Ali, la situation n’était pas idéale. Le chômage, surtout celui des diplômés, inquiétait les autorités ainsi que le trop de richesses et les abus des familles de Ben Ali et consorts qui exaspéraient au plus haut point la population.
C’est peut-être cela qui a encouragé les grandes puissances, et en prime les USA, de changer le tableau en vue de placer et appuyer de nouveaux dirigeants. En effet, les Etats-Unis sont le principal instigateur du chambardement de la situation en Tunisie. Le rapport de Wikileaks parle même de coup d’Etat en disant : « Ce sont les domestiques d’Obama, Cas Sun Stein, Samantha Power, Robert Malley et l’International Crisis Group qui sont impliqués dans la déstabilisation de la Tunisie ».
Publié le 16 janvier 2011 juste deux jours après le départ forcé de Ben Ali, ce rapport indique que : « L’intelligence américaine vit aujourd’hui une exaltation sans pareille après le renversement réussi du gouvernement tunisien du président Ben Ali ce week-end ».
Le rapport poursuit en ces termes : « Le département d’Etat et la CIA, à travers des médias qui leur sont loyaux, alimentent impitoyablement le tapage médiatique du coup d’Etat tunisien des derniers jours en tant que prototype de la deuxième génération des révolutions colorées, coups d’Etat postmodernes et déstabilisations du pouvoir d’inspiration américaine par les populations ».
Et le rapport d’ajouter : « Les mouvements tunisiens de contestation sont décrits dans la presse américaine comme la révolution du jasmin ». Donc même l’appellation de la révolution du jasmin est purement américaine.
Assange et Wikileaks, inspirateurs du coup d’Etat
Toujours en citant la Tunisie, le rapport Wikileaks indique : « La Tunisie constitue probablement le premier cas où Assange et Wikileaks peuvent revendiquer de manière crédible avoir fait exploser le coup d’Etat ». Ils se basent sur les « comportements dissolus et le style de vie somptueux du clan de Ben Ali sans limites et sans vergogne, et cela a joué un rôle clé poussant la petite bourgeoisie tunisienne dans les rues. Grâce à Assange, les chaînes de télévision occidentales ont pu montrer des images de la foule tunisienne brandissant des pancartes où on pourrait lire (yes we can) ».
Toujours selon ce rapport, « le danger est très grand en Tunisie car les forces qui ont renversé Ben Ali n’ont ni leader visible ni organisation politique de masse ».
En évoquant les agents de déstabilisation du régime d’Obama, le rapport indique : « Il est évident que la vague actuelle de renversement des régimes dans les pays arabes a été lancée par la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, lors de son discours tant vanté la semaine dernière à Doha, au Qatar, quand elle a mis en garde les dirigeants arabes les appelant à procéder à des réformes économiques conformément aux règles du FMI et à éradiquer la corruption ou sinon se retrouver exclus ».
Le discours était offensif et aurait dû inquiéter les dirigeants des pays arabes car il implique une intervention directe du régime américain dans les événements survenus dans la région, mais ils ne l’ont réalisé que très tard.
Dans son ouvrage intitulé « Le choix difficile », Hillary Clinton, en parlant de son projet de diviser les pays arabes et installer des dirigeants alliés des Etats-Unis, affirmait : « Nous avons décidé, via notre ambassade à Tunis, de fermer l’espace aérien tunisien ». C’était la veille du 14 janvier 2011.
Les States ont joué un rôle essentiel dans le changement du régime en Tunisie, nous n’en doutons pas.
Les printemps arabes, une planification US irréfléchie
D’autre part, le directeur de l’agence centrale de renseignements, la CIA, le général Michael Hayden, après avoir démissionné de ses fonctions, a fait une déclaration portant le titre « Bouleverser l’équilibre dans le monde » qui est considérée comme un deuxième aveu après celui de Hillary Clinton. Il disait : « Nous avons failli s’agissant du printemps arabe en tentant des coups d’Etat en Egypte, en Tunisie, en Syrie et en Libye. C’était un plan irréfléchi et des milliards de dollars ont été dépensés au profit des organisations de la société civile et celles de défense des droits de l’Homme dans les pays présumés sans aucune raison. Les conséquences négatives étaient l’émergence de Daech en tant qu’organisation terroriste qui menace le monde ».
Il faut préciser que le général Hayden fut le patron de la CIA sous les administrations Bush et Obama.
D’autres personnes sont aussi citées par le rapport de Wikileaks : « Une autre personnalité mérite d’être mentionnée. C’est Robert Malley, un agent américain connu qui dirige le programme pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à l’International Crisis Group (ICG), une organisation réputée pour fonctionner avec les fonds injectés par Georges Soros mettant en application élaborée par Zbigniew Brezinski (ancien conseiller de sécurité nationale du président Jimmy Carter, entre 1977 et 1981) ».
Tout cela démontre que si la Tunisie est arrivée à cette situation économique catastrophique, le principal responsable n’est autre que les Etats-Unis lesquels ont usé de plusieurs moyens en vue d’exécuter leur plan dont le rôle joué par l’International Crisis Group (ICG).
En effet, les révélations de l’auteur de ce rapport publié le 16 janvier 2011 démontrent bien l’ingérence étrangère dans les pays arabes, et principalement le rôle joué par « l’International Crisis Group », cette organisation américaine, moteur de ce qui a été appelé « la révolution du jasmin ». Il ne serait pas étonnant qu’elle soit elle-même derrière les snipers qui ont été à l’origine de l’attisement des événements vécus avant et après la fuite de Ben Ali.
L’ICG continue son ingérence dans les affaires intérieures de la Tunisie. Et profitant de la difficile situation économique et financière, elle vient de publier un article intitulé : « Tunisie – vers un retour à la constitutionnalité » dans lequel elle prétend que face aux moyens limités dont disposent les dirigeants tunisiens, « la pression étrangère et la surenchère populiste pourraient exacerber la polarisation entre forces pro et anti-Saïed et pousser Saïed vers une répression croissante. Cette évolution pourrait à son tour attiser davantage les tensions et la violence augmentant le risque de troubles politiques ».
Au lieu d’exprimer son soutien envers un pays qui vit une transition difficile, l’ICG continue ses politiques de manipulation qui n’a pour objectif que de concrétiser ce que Hillary Clinton avait voulu appliquer. La conditionnalité de l’aide au développement par l’imposition du diktat US sur la Tunisie.
L’ICG, chargé de mission pour attiser divisions et tensions en Tunisie !
L’article continue de décrire la situation en Tunisie d’une façon alarmante lorsqu’il ajoute : « Le budget de l’Etat peut à peine couvrir les salaires dus aux travailleurs du secteur public ou honorer les engagements de remboursement des emprunts extérieurs dans un contexte d’augmentation de la dette publique. La dette privée a également explosé. Ces indicateurs annoncent les risques d’une grave crise budgétaire et bancaire à venir, réduisant potentiellement le niveau de vie de nombreux Tunisiens. A court terme, la Tunisie pourrait être contrainte soit de restructurer sa dette publique en sautant dans le cerceau du Club de Paris, soit de déclarer faillite ».
Après avoir été à l’origine des événements du 14 janvier 2011, ce qui a eu pour conséquences l’endettement excessif dans lequel se trouve de nos jours le pays, l’International Crisis Group nous donne l’impression d’exulter quant aux résultats agissant dans l’impunité totale et s’ingérant sans vergogne dans les affaires internes tunisiennes.
Ne s’arrêtant pas là, l’ICG continue dans son rapport à émettre des menaces, dont la suspension de l’aide militaire US à la Tunisie, oubliant qu’en soutenant la Tunisie, les USA protègent aussi leurs intérêts géostratégiques dans la région.
L’article précité met en avant la déclaration du haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Joseph Borrell, précisant que l’UE ne fondera pas ses actions sur des déclarations mais « sur des actions concrètes et des mesures prises par les autorités tunisiennes ».
Il conclut en ces termes : « nous suivons de près la situation dans le pays et prendrons des mesures en fonction de ses actions ».
La France aussi responsable !
En poursuivant d’énumérer les facteurs exogènes qui ont été la cause des difficultés vécues par la Tunisie, on note que la France a aussi une part de responsabilité. En effet, le rôle qu’elle a joué pour renverser le régime libyen et qui a eu pour conséquences l’anarchie qui sévit depuis onze ans dans ce pays, ancien principal marché pour la main-d’œuvre et les produits tunisiens. Ainsi, la France, en contribuant à la destruction de l’Etat chez notre voisin du sud, assume également une responsabilité fondamentale dans les malheurs vécus depuis 2011 à ce jour par nos voisins libyens et par ricochet les Tunisiens.
C’est ce qu’affirme le président russe, Vladimir Poutine, qui a déclaré dans son discours aux Nations unies : « Ce qui s’est passé en Egypte, en Libye, en Tunisie et en Syrie n’est pas une révolution. Assez de mensonges ! Vous êtes en train de les appauvrir. Laissez-les tranquilles ».
Se trouvant dans une situation nécessitant le soutien de l’aide étrangère, la Tunisie vit sous influence aussi bien des Américains que des pays de l’Union européenne, c’est ce qui explique l’ingérence dans les affaires intérieures du pays. C’est en quelque sorte un néocolonialisme politique et une domination étrangère du pays qui ne disent pas leur nom.
Il en résulte donc que les grands responsables du naufrage de l’économie tunisienne lourdement affectée par une crise politique sont, entre autres, l’ingérence étrangère et particulièrement les Etats-Unis. Ils ont mis le destin d’un pays plein de promesses malgré celui qu’on appelle dictateur entre des mains incompétentes qui l’ont spolié et y ont développé des courants extrémistes dangereux aussi bien pour sa propre population que pour ses voisins du Nord de la Méditerranée. Une erreur d’appréciation qui pourrait être fatale pour tout le monde.
Si la Tunisie ne compte pas sur ses propres compétences et moyens, elle sortira difficilement de ce gouffre avec la menace éventuelle de troubles intérieurs attisés par les islamistes. Les vrais responsables, en l’occurrence les Etats-Unis et à moindre échelle la France sans parler des consorts à l’origine du soi-disant « printemps arabe », devraient assumer leur responsabilité en épongeant les dettes extérieures du pays. Ils pourraient, en continuant sur la voix des menaces à peine voilées, de réduire les aides à la Tunisie, pâtir de leurs postures.
Il est temps pour nous de redresser notre politique étrangère et nouer des liens privilégiés avec de vrais partenaires capables de nous accompagner non seulement dans la restructuration de nos moyens de production mais de croire en la force maghrébine qui peut constituer la clé de voûte à l’avenir du continent africain.
R.C