De simple créancier, le FMI peut-il se muer en capital-risqueur ? En mal de solvabilité, la Tunisie, “Start Up democraty”, cherche à prendre appui sur le FMI en vue de sa relance. A défaut ! La philosophie d’intervention du Fonds se retrouverait elle-même mise à mal de crédit ! Un cas de risque à double tranchant.
Du 14 au 22 courant, la Tunisie et le FMI vont se voir. On a d’un côté un questeur intransigeant, en droit d’exiger. Et, de l’autre, voilà un quémandeur, largement débiteur en espoir de se ressaisir. L’un est venu réclamer, l’autre désire une possibilité pour plaider. Pourront-ils se rencontrer afin de prendre langue l’un avec l’autre ? La partie est serrée. Tous deux sont surexposés.
Un créancier “négligent” et un débiteur impénitent
La Tunisie va-t-elle laisser une ‘’ardoise’’ à ses créanciers? Point besoin de s’attarder sur les suites, pour la population et le pays, d’une telle hypothèse si elle venait à se réaliser. Il est vrai qu’à première vue et en apparence, on voit un pays qui refuse de se sevrer de l’endettement. Mais au fil de ces 11 années de transition, le motif de la dette a changé.
Au tout début en 2013, on n’en voyait pas le bien-fondé. Et l’on ne comprend toujours pas la motivation de l’accord du Fonds. Comment se fait-il que le FMI, éclaireur de tous les prêteurs, ait prêté le flanc ? A quoi a été affecté le premier décaissement de 1,7 milliard de dollars servi au gouvernement de la Troïka ? Le FMI a bien vu que le pays était en situation de dilapider ses munitions en vue de combler des déficits impropres. Le mal était, déjà, en route.
La fonction publique a été surchargée et le commerce extérieur commençait à filer. Les déficits jumeaux se tenaient par la main, se nourrissant l’un de l’autre, faute d’être endigués. L’informel prenait ses quartiers, privant ainsi l’Etat d’un affluent considérable de fiscalité. Le pays s’installait sur une pente désastreuse car il était triplement saigné. Ajouter à cela le retard de relance qui n’en finit pas de laminer la base fiscale de l’économie en plus de l’effet Covid.
L’issue de cette situation était prévisible, et un ancien chef du gouvernement alertait sur la chute. Il prévenait que “l’on a oublié l’économie” et mettait en garde, car elle “pourrait nous oublier”. Le pays entretenait sans souci son Titre I, celui des dépenses. Et sacrifiait, de manière irresponsable, son Titre II consacré à l’investissement, celui-là même qui actionne l’investissement privé et donc le dynamisme économique.
La question est de savoir pourquoi le FMI est parfois clément en accordant aisément du crédit alors que le pays naviguait à vue, et quand la situation se complique avec toutefois une possibilité de reprise, devient-il si distant ?
L’insoutenabilité de la dette, un argument discutable !
L’on est en droit de se demander à quel point les créanciers manqueraient de flair et même de rigueur. Sous leurs yeux une dette odieuse se formait, mais ils ont continué quelques années durant à ouvrir les vannes. Ils auraient ouvert les yeux qu’ils se seraient aperçus que le pays s’enfonçait en s’endettant.
Sur les 10 premières années, le “Cash flow” du pays, si l’on ose s’exprimer ainsi, ne permettait pas le dénouement normal de la dette, si la croissance ne reprenait pas vigoureusement. Pourquoi attendre l’approche du crash pour invoquer l’insoutenabilité de la dette alors qu’elle menaçait bien avant? Le FMI porte-t-il une part de responsabilité dans cette fragilisation financière de la Tunisie ? Cela se murmure tout bas.
A trop se focaliser sur l’épluchage du budget, et à chercher à le colmater de toutes parts, la médication du FMI resterait sans grande conséquence. Trop axée qu’elle est sur la vérité des prix comme vertu cardinale. Par ailleurs, cela apparaîtrait comme un diktat. La Tunisie ne récuse pas le principe mais invoque la progressivité. Cela pourrait apparaître comme un faux fuyant.
A son crédit, le pays montre des prédispositions manifestes à y aller étant donné qu’il a amorcé le virage avec la libération progressive du prix du carburant. Une possibilité de reprise se dessine avec les deux sommets, celui de la Francophonie ainsi que celui de la TICAD 8, et un plan de développement 2023–2026 en préparation. Si d’aventure le FMI venait à fermer le sas, le marché et les institutionnels s’aligneraient.
C’est une expérience pilote de démocratisation pacifique en voie vers une émancipation économique qui serait compromise. Comme disait Jean Racine par le biais de Phèdre, dans la pièce du même nom, “Avec le FMI, la Tunisie s’est retrouvée ou s’est perdue”. Nous avons la faiblesse de croire que, dans une certaine mesure, cela vaut bien pour le FMI.