L’OpenGov, ce slogan ressassé en Tunisie jusqu’à sa banalisation, reste cependant méconnu de la majorité des Tunisiens, pour lesquelles les mots “transparence”, “redevabilité” ou d’autres n’ont pas de signification.
Certes, la Tunisie a adhéré au Partenariat pour un gouvernement ouvert (Open Government Partnership OGP), mais on n’a pas encore vu grand-chose en la matière.
De nombreuses raisons expliqueraient cet état de fait. Selon Asma Chrifi, membre du Comité de pilotage de l’OpenGov, le programme de l’OpenGov n’est pas parvenu à produire des services concrets, ni à apporter des changements palpables au sein des administrations publiques et à améliorer la relation entre l’administration et les citoyens.
Ce programme, regrette-t-elle, s’est limité jusqu’à ce jour à vulgariser certains concepts, à l’instar de la transparence et de la redevabilité. Or, le problème est d’ordre purement structurel et dépasse le seul cadre tuniso-tunisien, estime Chrifi.
Rétablir la confiance dans l’administration
En effet, tout le monde parle aujourd’hui du gouvernement ouvert sans en saisir l’essence ni même les opportunités de changement qu’il recèle, dit-elle. Ce mécanisme a notamment profité à des fonctionnaires et à des présidents d’associations, alors que les compétences capables d’apporter le changement souhaité sont restées bien à l’écart.
De plus, les principes et les valeurs prônés par l’OpenGov ne sont pas concrétisés, ce qui a ébranlé la confiance du citoyen quant à l’utilité des projets et programmes proposés dans ce cadre, poursuit Asma Chrifi qui appelle à une réforme fondamentale pour rétablir la confiance dans l’administration, ses plans et ses programmes.
L’adhésion en 2014 de la Tunisie au Partenariat pour un gouvernement ouvert constitue le couronnement de ses multiples actions visant à consacrer les principes de la bonne gouvernance, par la promotion de la redevabilité, la transparence, l’accès à l’information et l’association des citoyens à la vie publique.
L’OpenGov conforté par la lutte contre la corruption
Aujourd’hui, cette adhésion vient conforter la voie des réformes, la lutte contre la corruption, l’amélioration de la qualité des services administratifs fournis aux citoyens ainsi qu’une meilleure gestion des ressources nationales en associant toutes les composantes de la société civile.
Dans le secteur public, l’OpenGov nécessite plusieurs projets de réformes à placer dans la case “développement des services publics et l’optimisation de leur qualité”.
Il est question, également, d’adopter une approche participative entre administration et citoyen, outre le partenariat qui doit accompagner tous les processus de prise de décisions, la qualification de l’agent public et la sensibilisation du citoyen afin de lui permettre de tirer le meilleur profit de ce mécanisme.
La Tunisie a œuvré à consacrer les principes de l’OpenGov qui repose sur des technologies de pointe en vue de consolider la gouvernance et fournir des services de qualité.
Décliné en plans d’action biennaux mis en place depuis 2014, l’OpenGov est ainsi devenu une partie intégrante de ses politiques nationales.
Toutefois, les avis sont partagés sur la réalité voire l’efficience de ce mécanisme et les pas franchis par la Tunisie dans ce sens ainsi que sur l’implication des composantes de la société civile dans ce domaine.
Une initiative isolée de son environnement
Malgré les espoirs placés dans l’OpenGov et ses ambitieux objectifs, 82,2% des répondants à un sondage réalisé dans le cadre de ce travail journalistique estiment que ce processus reste faible et trébuchant, contre 16,7% qui le jugent passable.
Mais la majorité des interviewés, parmi un échantillon de 100 personnes de plusieurs régions, critique la lenteur et le non sérieux dans l’exécution des engagements.
La plupart des répondants regrettent, également, l’absence de soutien politique dû à l’instabilité gouvernementale.
Il ressort de ce sondage que 7,9% seulement des répondants estiment avoir été concernés par l’OpenGov ou avoir eu une expérience dans ce domaine, ce qui reflète, selon une analyse des résultats du sondage, le faible intérêt accordé par les médias à ce domaine et aux opportunités de changement qu’il offre pour améliorer la relations administration-administrés.
D’ailleurs, 60,4% des personnes interviewées proposent, pour une meilleure visibilité de ce mécanisme, d’intensifier les spots de sensibilisation et d’impliquer davantage les moyens d’information pour faire connaître l’OpenGov et ses nouveautés à une plus large échelle.
Les répondants jugent nécessaire le changement du plan de communication adopté jusque là et l’élaboration d’une note de concepts définissant l’OpenGov, ses principes et ses composantes.
En ce qui concerne la démarche participative dans la mise en place de politiques publiques touchant de près les citoyens, 24,5% des interviewés jugent cette question prioritaire. Ils insistent sur la nécessité de permettre un meilleur accès aux données relatives aux secteurs étroitement liés au quotidien des citoyens, comme l’éducation et la santé (85% des répondants), l’agriculture (77%), l’énergie et les mines (74%), l’action municipale (69%) et, loin derrière, la sécurité et la défense réclamés par, respectivement, 48 et 44% des répondants.
L’OpenGov, un processus trébuchant
En dépit de la riche expérience acquise par le ministère des Finances dans ce domaine au double plan national et international, nous assistons, aujourd’hui, d’un côté, à une faible maîtrise par les citoyens du concept de l’OpenGov, et de l’autre, à la complexité des procédures administratives et l’absence d’une volonté politique d’impulser ce créneau.
Il faut noter que le département des Finances à joué un rôle majeur en matière de transparence financière et de partenariat avec la société civile, à travers notamment la création, depuis 2013, d’une commission commune pour la transparence financière.
Une initiative qui œuvre à garantir l’accès à l’information et à asseoir les bases de l’OpenGov, explique le directeur général au Comité général d’administration du budget de l’Etat au ministère des Finances, El Assad El Khalil.
Dans le cadre de ses engagements, le département à également lancé une plateforme électronique, “Mizaniatouna”, qui fait l’objet d’un travail de rénovation et dont la nouvelle version sera fin prête durant le premier semestre de 2022.
La plateforme fournit des données et indicateurs financiers concernant le budget de l’Etat ainsi que des informations détaillées sur les ressources et dépenses de l’Etat et les comptes du trésor et des entreprises publiques à caractère administratif, selon le responsable.
Le choix de publier les données relatives à la finance publique est une décision politique et non administrative, a-t-il précisé, faisant observer que l’instabilité politique et gouvernementale constitue le principal obstacle qui freine toute avancée en matière de gouvernance et de transparence.
Pour ce qui est de l’accès à l’information, une des composantes de l’OpenGov, le président par intérim de l’Instance d’accès à l’information, Adnane Belassoued, indique que le retard dans l’exécution de certains projets s’explique par le manque de ressources humaines.
Seul le président de l’instance et son adjoint y travaillent à plein temps. Les membres ne sont présents que pendant les réunions, a-t-il confié, ce qui explique la difficulté pour l’instance à honorer ses engagements.
De son côté, l’organisation I Watch a mis en avant les incidences positives de l’OpenGov sur le secteur des industries extractives, faisant observer que l’adhésion de la Tunisie à ce mécanisme a permis d’apporter de la transparence à ce secteur, par la publication, depuis 2016, d’un nombre important de contrats pétroliers.
Manel Ben Achour, membre de l’ONG, met en évidence l’importance de finaliser le projet d’adhésion de la Tunisie à l'”Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives” (ITIE).
Cette adhésion permettra au pays d’améliorer la relation entre l’administration et le citoyen et de renforcer le partenariat entre le gouvernement, les entreprises privées et la société civile active. Celle-ci, la société civile locale en particulier, se chargera dans cette perspective de la vulgarisation des données, ce qui favorisera l’instauration d’un climat propice pour les investissements en contribuant à l’amélioration de la situation économique et de développement ainsi qu’à la création d’emplois.
Pour Ben Achour, qui est également membre du groupe multipartite de l’ITIE Tunisie, l’instabilité politique et l’atermoiement des gouvernements successifs et des entreprises actives dans ce domaine constituent autant de raisons qui expliquent la non adhésion, à ce jour, de la Tunisie à cette initiative.
Mouna Mekki, membre de l’Association tunisienne des contrôleurs publics, parle d’une volonté collective de fournir toutes les conditions et les opportunités disponibles pour assurer la réussite de l’OpenGov au vu de son impact positif au niveau national et local et sa contribution à favoriser des plans de travail communs.
Pour mieux investir dans l’OpenGov
La présidente de l’Association tunisienne de la gouvernance locale, Aicha Garafi, considère que la difficulté dans le processus de l’OpenGov en Tunisie réside dans l’absence de soutien et d’engagement de la part du gouvernement.
Une situation qu’elle impute à l’instabilité politique, à l’absence de la démarche participative au niveau des départements ministériels ou encore à la faiblesse des ressources financières.
De plus, l’instabilité structurelle du ministère de l’énergie, la succession des responsables et le manque de soutien matériel et de ressources humaines dont souffre la cellule de la direction électronique au sein de la présidence du gouvernement, ont tous contribué a entraver la révision des codes des mines et des hydrocarbures, selon le chef du bureau de l’Institut de la gouvernance des ressources naturelles, Wissem El Heni.
Ces difficultés mettent en cause, regrette-t-il, la crédibilité de la Tunisie et lui fait perdre sa position au sein de cette initiative. Il propose donc de charger un membre du gouvernement d’assurer le suivi de cette initiative en coordination avec les divers intervenants, ainsi que la révision des textes de loi et l’encouragement des administrations et du reste des ministères à adhérer à ce mécanisme.
Pour surmonter ces difficultés au niveau du ministère des Finances, El Assad El Khalil préconise le développement du système informatique du département.
Il propose, également, de mobiliser une équipe administrative permanente composée de représentants des directions concernées pour superviser l’élaboration des données qui concernent les finances publiques et leur publication sur le site ” Mizaniatouna ” pour être à la disposition du public large.
Le président intérimaire de l’Instance d’accès à l’information, pour sa part, appelle à l’urgence de finaliser le cadre organisationnel de l’instance et de promulguer les textes réglementaires prévus par la loi afin de renforcer les ressources humaines et les moyens logistiques de l’instance.
Le directeur des programmes à la Fédération nationale des communes tunisiennes et son représentant au Comité du pilotage OpenGov 2021/2023, Bilal Manai, estime que les avancées législatives réalisées en matière d’OpenGov n’ont pas eu de réel impact-écho dans la pratique.
Selon lui, les administrations publiques n’ont pas été assez préparées pour la numérisation, l’ouverture et la bonne gouvernance. Il a noté que certaines lois en rapport avec l’OpenGov sont restées inappliquées à l’instar de la loi sur l’Open data dans plusieurs administrations et ministères outre l’inefficacité de certaines plateformes interactives, ce qui peut s’expliquer par la faible confiance du citoyen dans les entreprises publiques, mais aussi par un problème de maîtrise des technologies de la communication.
La bonne gouvernance doit bénéficier de tout l’intérêt requis et d’un plus grand soutien gouvernemental, a-t-il préconisé, mettant en évidence le besoin de moderniser les systèmes informatiques devenus ” obsolètes “, selon ses dires et de renforcer la communication et l’interaction entre les institutions de l’Etat.
L’OpenGov dont les visées s’accordent avec les objectifs du développement durable des Nations unies, en se sens qu’elles contribuent concrètement à l’amélioration des services publics et à l’évaluation, par le citoyen, de la place des projets de développement dans les dépenses publiques, reste un mécanisme toujours méconnu d’une large frange de la société tunisienne.
*Cette enquête a été réalisée avec l’appui de la CFI (Agence française de développement médias) dans le cadre du projet PAGOF.