Quand le prix de l’énergie flambe, il risque de griller toutes nos chances de reprise. Outre qu’il nous plongerait dans un stress budgétaire profond. La seule parade coupe-feu pour ne pas se faire manger par les flammes réside dans les achats à terme.
Les spécialistes du trading font partout circuler l’adage de la suprématie du marché en affirmant que « le marché a toujours raison ». Ce n’est pourtant pas une raison pour subir tous ses soubresauts. Et, l’ingénierie financière procure aux opérateurs des parades pour dompter le marché, notamment les contrats à terme.
En effet, ces derniers possèdent la propriété de protéger l’acheteur des écarts du marché. L’acheteur peut, avec cette catégorie de contrat, figer son prix d’achat longtemps à l’avance. Et en l’occurrence, le contrat-cadre est le format ISDA (International Swaps and Derivatives Association). Il se trouve qu’il est exclusif aux achats à terme, principalement sur le marché international de l’énergie.
Alors, dans quelle mesure la Tunisie pourrait-elle recourir à cet instrument ?
L’achat à terme, achat garanti sans surprise
C’est la faute à la volatilité ! Voilà la consigne maîtresse. La volatilité est imparable, et autrement qu’à pouvoir geler les courts, il n’existe pas d’autres moyens pour s’en protéger. Cette précaution est nécessaire pour stabiliser les prévisions budgétaires et du plan.
Nous connaissons tous les ravages des pics de cours de l’énergie autant sur nos prévisions économiques que sur notre stabilité sociale. De tradition, dans le pays, la Compensation était considérée comme un instrument de justice sociale. Son coût est devenu insupportable à l’heure actuelle au vu de la physionomie de nos finances publiques. On sait que chaque dollar supplémentaire sur le prix du baril a des répercussions budgétaires lourdes. Et si on les répercutait sur le prix public de l’énergie, on exposerait le pays à des répercussions regrettables.
L’énergie, de toutes les matières premières, est capable de variations de choc. Souvenons-nous qu’en juillet 2008, le cours du brut avait fait un pic à 145 dollars US, mettant à mal la croissance mondiale. Et, dans un accès de clémence, en juin 2022, il a traité à 22 dollars, et il est arrivé lors d’un prompt épisode en avril 2022 que le brut, en chute libre aux Etats-Unis, soit bradé sous la barre de zéro dollar ! Les opérateurs sont baladés, comme cela arrive, dans les parcs d’attraction les “montagnes russes“.
Le risque de creusement des déficits
Les coups de butoir des variations de cours impactent directement la trésorerie car c’est elle qui encaisse le coup. Cela est aussi vrai d’une entreprise que d’un pays. Le contrecoup mécanique est qu’il creuse les déficits. Naturellement cela finit par impacter les projections de croissance et peut conduire à une augmentation de l’endettement.
Enfin, ce sont des désagréments en cascade qui vont survenir. Dans le cas de la Tunisie, pour l’exercice actuel, le gouvernement a tablé sur un cours du brut à 75 dollars US, et les calculs du budget ont été opérés sur cette base.
L’ennui est que le cours caracole à 90 dollars. Cet élément perturbera nombre de variables, tels le taux de croissance ou la balance des paiements. Si le pays se donnait les moyens chaque fois qu’il présente son budget de figer le cours de l’énergie, il se mettrait à l’abri de toute mauvaise surprise pouvant déséquilibrer ses prévisions.
Les dispositions du contrat-cadre ISDA
Le Forex Club a évoqué la question et a plaidé en faveur du contrat ISDA. Il convient de rappeler que cet instrument relève du droit anglais. Et entre autres implications de cette contrainte, ce sont les jugements des tribunaux anglais qui prévalent en cas de litige entre les co-contractants. Et ils sont exécutoires sans nul autre besoin d’exéquatur (c’est-à-dire une décision par laquelle un tribunal rend exécutoire sur le territoire national une sentence arbitrale ou un jugement ou un acte étranger). Cela veut dire que dès son prononcé, le jugement serait immédiatement exécuté avec promptitude. Le jugement autorise en toute célérité la saisie des actifs du co-contractant défaillant, leur réalisation et en bout de course le transfert de leur produit à l’étranger. A l’évidence, cela pose problème. Ainsi, pour recourir à ce contrat, le pays a besoin d’implémenter tout son arsenal juridique. Vaste chantier.
Nécessité fait loi
Sous l’impulsion du Forex Club, une réflexion sur l’ajustement juridique aux clauses du contrat ISDA avait été initiée. Mais c’est un processus qui prendra du temps. Et, le pays est dans l’angoisse d’un face à face avec le FMI lequel, entre autres exigences, souhaite voir comment le pays pourrait juguler son déficit budgétaire afin de rétablir sa solvabilité.
Par réflexe procédurier, le Fonds met la pression pour réduire les transferts sociaux via le budget et donc insiste sur la réduction des subventions, notamment celle de l’énergie.
A défaut d’un ajustement juridique et afin de ne pas se laisser éclabousser par la hausse du cours de l’énergie, une issue de secours se profile. A titre exceptionnel, l’Etat tunisien peut autoriser l’opérateur public, en l’occurrence l’ETAP, à recourir aux contrats à terme. Cette autorisation, pour rentrer dans les dispositions du contrat ISDA, serait assortie de la garantie de l’Etat. En clair, cela signifie qu’en cas de défaut de paiement, hypothèse très éloignée au demeurant, l’Etat tunisien se substitue à l’ETAP et règle la partie étrangère.
Cette proposition est plausible. Sa seule faiblesse est que c’est une décision qui appelle une volonté politique. Cette dernière sera-t-elle au rendez-vous ?
Ali Abdessalam