D’abord, les enjeux énergétiques

– La Russie possède la 1ère réserve mondiale de gaz. Elle est le 1er fournisseur de l’UE en gaz et lui fournit 35 à 40% de ses besoins estimés à 450 milliards de m3/an.

– Jusqu’en 2011, 80% du gaz russe destiné à l’UE transitait par l’Ukraine…

– En 2012, la Russie met en service un gazoduc de 1 230 km dans la mer baltique, ne passant par AUCUN PAYS, arrivant directement en Allemagne et d’une capacité de 55 milliards de m3/an, dénommé le Nord Stream.

– En avril 2018, la Russie démarre la réalisation d’un 2ème gazoduc empruntant le même parcours que le premier et ayant la même capacité, le Nord Stream 2.

A l’achèvement de ce projet de 10 milliards d’€, près de 70% du gaz russe destiné à l’UE transiterait par la mer baltique, privant l’Ukraine d’une rente de 1,5 milliard d’€/an, et baisserait le coût d’acheminement du gaz russe.

– Les USA s’opposent au projet (et Trump arrive même à arrêter les travaux en 2019), pour 3 raisons : soutenir l’Ukraine, l’allié qu’ils souhaitent intégrer à l’OTAN ; éviter que l’UE ne devienne encore plus dépendante énergiquement de la Russie ; défendre leurs propres intérêts commerciaux et les parts de marchés de leur GNL (gaz naturel liquéfié), qu’ils livrent aussi à l’Europe et qui est déjà plus cher.

– La Russie trouve un accord avec l’Administration Biden et les travaux du Nord Stream 2 sont achevés en octobre 2021. Sa mise en exploitation était même prévue pour le printemps 2022.

– Entre temps, la tension arrive à son paroxysme avec l’Ukraine et la guerre éclate.

La première sanction de l’UE contre la Russie tombe : report de la mise en service de N.S 2. Mais est-ce vraiment une sanction contre la Russie ou …une auto-sanction ?

En effet, sur un marché tendu, avec des stocks européens au plus bas, des prix déjà fortement à la hausse depuis 2021, la Russie est en réalité en position de pouvoir et prend l’Europe à son propre jeu, conditionnant désormais la livraison de gaz à la mise en service du nouveau gazoduc.

Une stratégie implacable !

– Le baril de pétrole passe immédiatement la barre des 100 $ (niveau jamais atteint depuis mi 2014), mais les conséquences sur le marché du gaz et l’alimentation de l’Europe pourraient être désastreuses …

Le prix du gaz en Europe a déjà bondi de 50% depuis lundi dernier. Et le pire est à venir.

Les retombées sur la Tunisie sont claires : hausse de la facture énergétique (pétrole, gaz et électricité), budget de compensation, inflation, hausse des coûts de production pour nos entreprises… ; impact probable sur le carnet de commandes à l’export de nos industries, dont l’Europe constitue le premier partenaire et débouché.

Ensuite, les enjeux “alimentaires”

La Russie est le premier exportateur mondial de céréales. L’Ukraine est le 4ème exportateur mondial de blé et de maïs. C’est même aujourd’hui “le grenier à blé de l’Europe”. La région du Donbass, théâtre de la guerre et futur Etat indépendant, produit 40% des céréales ukrainiennes.

Après des hausses historiques en 2021 à cause des mauvaises récoltes (liées notamment aux sécheresses en Europe de l’Est), les cours du blé et du maïs, qui avaient augmenté de 20% au cours des dernières semaines des suites du conflit, ont bondi de près de 6% en une journée après l’offensive russe.

Les répercussions sur le marché mondial des céréales et les prix des denrées alimentaires sont ainsi immédiates.

Pour la Tunisie, qui achète l’essentiel de ses besoins en céréales en Ukraine et en Russie, dont les stocks sont limités et dont les moyens financiers sont ce qu’ils sont, les choses se compliquent.

Pourtant, plusieurs voix avaient averti sur les risques décrits ci-dessus. Et plusieurs pays ont anticipé leurs achats de céréales en l’occurrence. Nous, en principe, nous avons d’autres priorités.

Aucune urgence pour remédier à notre dépendance énergétique et améliorer notre sécurité alimentaire. Aucune importance pour entamer réellement notre transition énergétique, ni repenser notre agriculture et encourager notre production céréalière.

Fais dodo…