Vendredi 25 février 2022 était un jour triste pour le système bancaire, pour la place financière de Tunis et pour la Tunisie. Vendredi 25 février une des plus anciennes banques de Tunisie, la Banque Franco-Tunisienne (BFT) a définitivement fermé ses portes. Elle a fait faillite. Une première dans l’histoire de la Tunisie. Mais la BFT n’est pas partie sans laisser des séquelles graves:
– Des déposants qui ne seront indemnisés qu’à hauteur de 60 000 dinars, au-delà de ce montant il faut attendre la liquidation de la banque et la vente de ses actifs, s’il en reste quelque chose. Heureusement que les dépôts de la clientèle ne dépassaient pas, au moment de la fermeture des portes, les 20 millions de dinars.
– Des créances (des crédits) non recouvrées de 270 millions de dinars. Il est intéressant de voir la liste des débiteurs concernés.
– Des pertes enregistrées de 500 millions de dinars.
– Des notes d’honoraires d’avocats (surtout étrangers) de plus de 250 millions de dinars, oui vous avez bien lu « plus de 250 millions de dinars » payés en majorité en devises par des transferts autorisés par la Banque centrale de Tunisie (BCT).
– Des notes de frais de mission à l’étranger à coups de millions de dinars, toujours autorisées par la BCT;
– Et enfin, le fameux dossier du litige État tunisien contre ABCI (l’investisseur étranger) devant le CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements – Groupe Banque mondiale).
Ce dossier qui traîne depuis plus de trente ans est considéré comme le dossier le plus scandaleux en termes de mal gouvernance, de mauvaise gestion, de sacrifice des intérêts de la Tunisie, de vol d’informations et de documents et surtout de CORRUPTION.
Ce dossier constitue une véritable épée de Damoclès sur la réputation de la Tunisie et sur les finances publiques de la Tunisie.
La menace qui pèse sur la Tunisie actuellement est de l’ordre de 1 milliard de dollars (soit environ 3 milliards de dinars ou 3 000 milliards de millimes). En 2017, le CIRDI avait prononcé son jugement en déclarant la Tunisie responsable.
Le CIRDI avait aussi donné un délai aux deux parties pour s’entendre sur le montant de l’indemnisation à payer à l’ABCI. Ce délai a expiré il y a quelques semaines sans que les deux parties n’arrivent à un compromis. Maintenant c’est au CIRDI de décider, dans les mois qui viennent, du montant de l’indemnisation.
Mardi 1er mars, une conférence de presse a été tenue au siège de la BCT pour informer le public de la fermeture définitive des portes de la BFT et de l’engagement du processus (douloureux) de sa liquidation par le transfert du dossier à la justice qui doit nommer un liquidateur. Tout ceci n’est pas anodin. Cette décision soulève des questions graves, du genre :
– pourquoi une telle décision maintenant alors que le CIRDI doit prononcer sa décision d’indemnisation dans les quelques mois qui viennent ?
– quel est le sort des créances non encore recouvrées ? Est-ce qu’un liquidateur peut recouvrer de telles créances si les professionnels de la banque se déclarent incapables de le faire ? Et au fait qui sont les débiteurs ?
– qui va supporter les pertes de 500 millions de dinars ?
– est-ce que les autorités comptent délimiter les responsabilités de chacun dans ce dossier et les traduire les fautifs devant la justice ?
– quelle est la responsabilité de la BCT dans ce scandale ? La BCT n’est-elle pas responsable de par la loi de la supervision et de la bonne santé du système bancaire et financier ? Pourquoi, et dans l’intérêt de qui a-t-on laissé une banque tunisienne arriver à la faillite et la fermeture définitive de ses portes ?
Autant de questions que l’on évite de poser, préférant rester dans le déni le plus total.
À la fin de la conférence de presse, un journaliste a posé la question suivante au gouverneur de la BCT: “quels seraient les effets négatifs de cette faillite bancaire sur le système bancaire et sur la Tunisie ?” Et la réponse du gouverneur a été la suivante, tenez vous bien: “faillite, quelle faillite!” il n’y a pas de faillite, surtout pas le terme faillite, pour se rattraper un peu par la suite et dire que c’est à la justice de prononcer la faillite. Ah bon il n’y a pas de faillite. Il y a quoi alors. Il a même dit que se qui se passe pour la BFT n’aura pas de conséquences sur la réputation de la place financière de Tunis et sur l’image de la Tunisie, même si l’on sait que ce scandale a commencé par une opération d’investissement direct étranger.
C’est facile de nier. En effet, nous sommes dans le déni total. Comme d’ailleurs pour la planche à billets qui fonctionne en plein depuis le mois de décembre 2020, mais qu’on continue à nier. Comme aussi pour les rééchelonnements de créances auxquels le ministère des Finances a eu recours à plusieurs reprises depuis quelques années et surtout au mois de février 2022. Vous avez certainement remarqué que les salaires de la fonction publique ont été payés à temps au mois de février, et ce malgré le fait que la dernière semaine de février comportait elle aussi un week end de 2 jours.
Un responsable présent à la conférence de presse a même osé dire que les agences de notation souveraine (Moody’s et Fitch Ratings) pourraient améliorer la notation souveraine de la Tunisie lorsqu’elles vont voir que nous avons été capables d’indemniser les déposants de la BFT. C’est vrai le ridicule ne tue pas.
Le déni est facile, mais il s’agit d’une forme grave d’irresponsabilité. Refuser d’assumer n’est pas digne. Refuser d’assumer vous empêche aussi de trouver des solutions.
PAR Ezzedine SAIDANE