Plusieurs téléspectateurs tunisiens ont eu droit, le soir du mercredi 2 mars 2022 sur la chaîne de télévision privée «Attessiaa Tv», à une illustration scandaleuse de ce qu’on appelle, de plus en plus, «la dérive syndicale», ou carrément, «le banditisme syndical».
Gros plan sur un cas édifiant.
Abou SARRA
L’équipe de l’émission quotidienne “Rendez-vous 9“ a invité Moncef M’himdi, secrétaire général du syndicat de base des services centraux de la CNAM (Caisse nationale d’assurance-maladie) pour exposer le point de vue syndical dans la grève ouverte qu’observent, depuis le 21 février 2022 soit plus de deux semaines, les agents des Caisses de sécurité sociale (CNRPS, CNSS et CNAM).
Cette grève est qualifiée d’“illégale“ par le ministère de tutelle et n’est pas soutenue par la centrale syndicale, UGTT.
Tenants et aboutissants de la grève des agents de la sécurité sociale
Selon M’himdi, les syndiqués réclament la mise en œuvre immédiate –bien immédiate- de la loi publiée au mois de février 2022 dans le JORT et portant statut des agents des Caisses de sécurité sociale. Les grévistes sont surtout furieux contre l’article 148 de ce statut qui entre officiellement en vigueur au mois de janvier 2023, parce qu’il y a un volet financier (46 MDT) qui doit être validé par la loi de finances 2023.
D’après cet article, c’est le ministre des Affaires sociales actuel, Malek Ezzahi, dont relève les Caisses de sécurité sociale, qui devrait fixer par arrêté ministériel l’augmentation salariale prévue par le nouveau statut.
Or à entendre M’himdi, le ministre actuel, qui s’est distingué, depuis sa nomination, par sa gouvernance rigoureuse, particulièrement par ses visites inopinées, n’est pas du goût ni des syndicats ni de leurs adhérents flemmards.
La grève avait donc « des relents » de règlement de compte. Les syndicats de sécurité sociale voulaient la tête du ministre. Pour preuve, violant la confidentialité des données dont disposent les Caisses de sécurité sociale, Moncef M’himdi a osé, contre toute éthique professionnelle, montrer la fiche personne de l’affilié social Malek Ezzahi qui serait redevable à la sécurité sociale de quelque 18.000 dinars, l’accusant d’être parmi ceux qui ne payent pas leurs cotisations et d’être, en conséquence, à l’origine d’une partie du déficit des Caisses estimé, d’après lui, à 7 milliards de dinars.
Quid des avantages des agents de la sécurité sociale ?
Moncef M’himdi a oublié au passage que lui-même et le reste des agents de sécurité sociale bénéficient du privilège de ne pas payer leurs cotisations sociales et de jouir, en priorité, d’autres avantages dont : des salaires de 18 mois par an, l’accès en priorité aux prestations des Caisses sociales (couverture médicale de qualité assurée par les cliniques des caisses sociales, soins à l’étranger par l’effet du corporatisme des trois Caisses…).
Autres avantages : bénéfices de toutes sortes de crédits accordés par les Caisses de sécurité (crédit pour logement, crédit personnel, crédit pour voiture, colonies de vacances à l’étranger pour les enfants des agents…).
Comble du corporatisme, les bureaux des Caisses de sécurité sociale comptent des guichets spéciaux pour servir leurs agents alors que le reste des usagers doivent faire la queue.
Des propos choquants et scandaleux
Abstraction faite de ces éclairages sur la nature de cette grève, les propos du syndicaliste Moncef M’himdi sont, à notre avis, choquants et même scandaleux.
Ils sont scandaleux quand il s’entête à dire que la grève ne sera pas levée tant que le gouvernement n’a pas appliqué le statut. Ce mode de grève ouverte, une trouvaille tunisienne qui n’existe nulle part, doit être dorénavant interdite dans les lois du pays.
Ils sont choquants quand il demande au gouvernement d’appliquer le Statut publié dans le JORT alors qu’il faudrait attendre, en principe, la prochaine loi de finances pour sa validation financière. La pratique de « l’Ici et maintenant» est, désormais, le nouvel exercice provocateur auquel s’adonnent les nouveaux syndicalistes. En principe, attendre 7 à 8 mois ne relève pas de l’impossible au regard des difficultés financières dans lesquelles se débat actuellement l’Etat.
Ils sont choquants dans la mesure où Moncef M’himdi considère les Caisses de sécurité comme la propriété privée des agents en grève. Ainsi, les cotisations des affiliés sont assimilées, selon ses propos, à l’argent personnel de ces mêmes agents. M’himdi parle de « floussna » (notre argent) et de nos recettes, allusion aux cotisations des affiliés sociaux. Il a encore omis qu’il est un simple salarié au service des affiliés sociaux.
Par contre, à aucun moment Moncef M’himdi n’a parlé des préjudices occasionnés par cette grève aux affiliés sociaux qui sont pour la plupart des personnes vulnérables (malades, vieux, veuves…).
Cette manière de concevoir un service public nous renvoie à ce que pensait l’économiste Hassine Dimassi de la gouvernance des Caisses de sécurité sociale et des entreprises publiques.
Il avait qualifié ces dernières de « structures féodales aux mains des syndiqués de l’UGTT dont la préoccupation consiste à réclamer constamment des avantages et des augmentations salariales, à y recruter en priorité leurs enfants et à demander des fonds de l’Etat en cas de déficit ».
Le moment est donc venu pour mettre un frein à ces dérapages non contrôlés et rappeler aux salariés syndiqués que travailler dans une entité publique c’est travailler pour servir l’usager, l’administré et le simple citoyen et non pour se servir.